Aller au contenu

Page:Malato - La Grande Grève.djvu/119

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sortiras du bagne. Tu n’as pas laissé comme moi une femme et un enfant.

Il s’efforçait ainsi de le consoler, cachant en même temps le désespoir qui lui broyait l’âme. Ah ! oui, le bagne c’est simplement terrible quand on est seul, mais de quelle épithète le peindre lorsque le condamné laisse derrière lui une femme et un enfant ?

Geneviève et le petit être qu’elle portait en elle, qu’allaient-ils devenir ? Certes Panuel, cet ami dévoué, ne les abandonnerait pas, mais le brave menuisier n’était plus jeune et gagnait sa vie à peu près au jour le jour. Cet appui, le seul sur lequel il comptât, pouvait venir à manquer.

Et pourtant il se redressait sous les coups du sort qui l’accablait. Il se rappelait son père, transporté par l’Empire à la Guyane, sous un ciel plus inclément que celui de la Nouvelle-Calédonie et laissant, lui aussi, derrière lui, une femme et un enfant. Cette épreuve avait duré douze ans, au bout desquels Pierre Détras était revenu.

Comme son père, il tiendrait bon, coûte que coûte ; il se sentait assez de vigueur et de courage pour se raidir dans l’horreur de sa situation.

Et son énergie se communiquait à Janteau, le relevant parfois de son affaissement. Les autres condamnés, après avoir manifesté une sourde hostilité à l’égard des deux hommes, les laissaient maintenant tranquilles et disaient : « Ils ne sont pas des nôtres. »

Détras et Janteau, dès leur arrivée dans la colonie, furent dirigés sur le pénitencier-dépôt, où ils demeurèrent cinq mois, puis sur Bouraké, au nord-ouest du chef-lieu. C’est un point du littoral désagréable, à cause des marécages et de l’abondance des moustiques, ceux-là engendrant ceux-ci. Les deux compagnons furent employés à des travaux de dessèchement sous la direction du surveillant Carmellini. Celui-ci, une parfaite brute, se fût déplu à Bouraké sans cette circonstance que la majoration des dépenses