Page:Malato - La Grande Grève.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Où donc sont les chiens de garde du maître ? demanda-t-il.

— À la messe, répondit Ronnot. Ingénieurs, comptables, garde-magasins, surveillants, contre-maîtres, tout ce qui commande ou s’élève au-dessus de nous est forcé d’y aller sous peine de renvoi immédiat.

Et il ajouta dans un gros rire :

— C’est tout juste si on ne nous force pas nous-mêmes à aller manger le bon Dieu.

Baladier regarda l’église de Mersey dont la flèche s’élevait au-dessus des toits rouges, dominant la ville.

— Il n’y a donc pas d’allumettes chimiques à Mersey ? demanda-t-il d’une voix tremblante d’une indignation naturelle.

C’est qu’en ce moment, le mouchard était sincère. Comme les excellents artistes, il s’était mis entièrement dans la peau de son personnage, sentant avec l’âme d’un prolétaire écrasé et lançant au ciel un vrai cri de révolte.

Ronnot y fut trompé et répondit avec un soupir :

— Que voulez-vous ! Nous ne sommes pas les plus forts.

Au déjeuner, Baladier fut charmant et conquit les enthousiastes sympathies de Mme Ronnot. Pour ne pas ajouter une charge à celle qui pesait sur le ménage — cinq enfants ! — il avait expressément tenu à apporter sa part : une grande tarte et deux bouteilles de bon vin. Et, comme le mineur protestait, il avait vaincu ses résistances de cette phrase superbe :

— Chacun selon ses moyens : c’est la vraie formule du communisme, de l’égalité et de la fraternité.

Après ce dessert, qui fit la joie des enfants, ce fut Baladier qui s’offrit et insista pour tourner le moulin à café.

Puis dans l’après-midi, le conférencier et le mineur s’étaient acheminés tranquillement vers le Bois-de-