Page:Malato - La Grande Grève.djvu/155

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serait capable de lui faire chercher à nouveau un refuge dans le suicide.

Dès l’enfance, elle avait connu cette vie errante de fatigues et de faim. Avec sa malheureuse mère, elle avait parcouru les chemins, couché à la belle étoile dans les fossés et les halliers, travaillé çà et là, quelquefois imploré la pitié des paysans, jusqu’au jour où les religieuses de Tondou la recueillirent, orpheline, pour en faire chrétiennement leur esclave. Puis était venue cette servitude pesante, accompagnée « d’oremus » et d’eau bénite, au couvent de la Merci, servitude implacable, affolante, qui, plus d’une fois, lui avait fait regretter la grande route avec la faim mais la liberté. Ensuite, l’entrée chez Mme Hachenin…

Mme Hachenin ! L’image de cette femme se représentait à sa pensée avec une singulière persistance. Comment cela se faisait-il ?

Entre l’heureuse créature, trônant dans le luxe des millions et n’ayant qu’à vouloir pour que ses désirs les plus dispendieux fussent réalisés, et elle, fille de douleur, que la destinée avait condamnée à souffrir dès le berceau, quel lien, si faible fût-il, pouvait exister ?

Certes, Céleste avait été, dans la maison de la femme du banquier, moins malheureuse qu’au couvent. Mais la façon dont elle avait dû quitter cette maison l’en éloignait à tout jamais, en même temps qu’elle réveillait ses souvenirs de dignité cruellement blessée.

Ne l’avait-on pas traitée comme une voleuse, obligée de s’enfuir pour un délit qu’elle n’avait jamais commis : le vol d’une bague subtilisée par la femme de chambre ?

Ç’avait même été un miracle que cette accusation ne fût point venue peser sur elle au cours de sa prévention à Chôlon. Comment le juge d’instruction qui la tenait sous les verrous avait-il omis de l’inter-