Mayré eut un gros rire narquois.
— Enfin, d’où venez-vous ? lui demanda-t-il la regardant fixement dans les yeux.
Bien que répugnant au mensonge, Céleste sentit la nécessité d’inventer une histoire.
Ce ne fut pas, d’ailleurs, à vrai dire, un mensonge. Soudant les uns aux autres quelques épisodes de sa vie, elle dit la mort de son père dans un accident de mine, la mort de sa mère, épuisée de privations, ses pérégrinations dans la région pour trouver du travail, son départ de diverses maisons où le maître voulait abuser d’elle.
Ce dernier détail, elle le donna avec une double intention : d’abord parce que c’était une explication plausible et véridique, puis pour avertir le fermier que si elle était prête à exécuter tous les travaux, si pénibles ou répugnants fussent-ils, elle était bien décidée à ne point livrer son corps.
Cette histoire improvisée était, somme toute, admissible ; Céleste la racontait sans hésitation, n’ayant, hélas ! qu’à puiser dans ses douloureux souvenirs, quoique taisant les plus douloureux. Elle se bornait à éviter de citer les dates et les localités.
Pierre Mayré n’était ni un sentimental ni un monstre, mais simplement un paysan connaissant la valeur du temps, du travail et de l’argent. Il n’eût certes pas assassiné son prochain et même il réprouvait le vol dans les formes où le punit le Code ; mais il ne se demandait point si, en profitant du malheur ou de la faiblesse d’autrui pour lui imposer un contrat léonin, il ne commettait pas un acte pire que le vol.
— Je vous prends à l’essai, dit-il brusquement à Céleste. Vous mangerez avec nous et coucherez sur la paille dans le hangar. Vous ferez le travail de la maison avec la Martine. Si vous ne faites pas mon affaire, je vous congédierai quand je voudrai. C’est à prendre ou à laisser.