Page:Malato - La Grande Grève.djvu/169

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belle, mais l’âge du menuisier, cinquante-cinq ans bien sonnés, rendait peu vraisemblable pareille supposition.

Qu’était-ce donc ?

Geneviève le vit revenir au bout d’un quart d’heure, l’air absorbé dans un monde de réflexions.

Pendant le dîner, à peine desserra-t-il les dents, il eut seulement un tressaillement lorsque Berthe, tirant sa chaise tout près de lui et le regardant, câline, lui demanda, implorante :

— Papa Nuel, raconte-moi une histoire.

Papa Nuel était l’appellation que Berthe enfant bégayait autrefois en tendant ses petits bras vers le brave homme qui avait remplacé son père, appellation qu’elle lui continuait toujours malgré ses dix ans. Et les histoires étaient le triomphe du menuisier. Non pas histoires absurdes de fées, de revenants, de miracles, dont on farcit encore la tête des enfants, mais histoires vraies, racontées sous une forme simple et mêlées de considérations pleines de bon sens.

— Une histoire ! murmura Panuel. Eh bien, oui.

Sa voix était altérée par l’émotion. Geneviève le regarda fixement : leurs yeux se rencontrèrent.

La femme du forçat lut la pensée de son ami. Cette pensée était : « Écoutez et comprenez. »

— Il était une fois, raconta Panuel dont la voix, s’affermissant peu à peu, devint grave, un ouvrier mineur honnête et courageux qui s’était fait des ennemis puissants parce qu’il ne disait rien que ce qu’il pensait et agissait toujours selon sa conscience.

Geneviève étouffa un soupir : elle comprenait que c’était l’histoire de son mari que le menuisier commençait à conter et elle se préparait à apprendre quelque nouvelle, tragique peut-être. Quant à Berthe, elle avait levé les yeux sur son grand ami, un peu étonnée et l’air méditatif. Quand elle était arrivée en âge de commencer à comprendre on lui avait