Page:Malato - La Grande Grève.djvu/219

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cœur ; — Jaillot avait quitté le pays ; Vilaud était devenu un « ouvrier modèle », déclarait Justin, ce que Détras traduisit par un résigné auquel il ne serait pas prudent de se confier.

Une à une ses dernières espérances s’envolaient. Absorbé dans l’amertume de ses pensées, à peine se rendit-il compte qu’ils étaient arrivés au restaurant Chenet et s’attablaient dans la cour sous un bosquet, tandis que Justin s’empressait de commander « un litre, et du bon ! »

Tout en buvant, le petit-fils de la mère Bichu continuait à conter et Détras, un moment perdu dans sa douloureuse rêverie, revint au sentiment de la réalité lorsqu’il l’entendit parler avec un rire trivial du départ de Geneviève et de Panuel.

— Ils ont filé sans tambour ni trompette, fit-il, s’esclaffant, pendant que le pauvre bougre de mari fait le Jacques à l’île Nou. Ah ! les salauds ! Et on les croit bien loin, mais moi…

Détras se retint pour ne pas pousser un rugissement de joie. Ce vaurien allait-il donc le mettre sur la piste si passionnément désirée ?

— Vous savez où ils sont ? demanda-t-il, en s’efforçant de cacher l’émotion qui l’étouffait.

— Peuh ! pas précisément… d’autant plus que je m’en fous, mais, si j’y avais le moindre intérêt, je vous réponds que je saurais bien les dénicher. J’ai rencontré, il n’y a pas huit mois, sur la route de Gênac, un bonhomme ressemblant bougrement à Panuel et qui accompagnait une petite écolière de l’âge de Berthe. Vous comprenez que si l’amant et la gosse sont là, la mère doit y être aussi. Pas vrai ?

Détras fit un geste affirmatif. Il lui eût été impossible de parler, partagé entre la velléité d’étrangler Justin qui se faisait, lui aussi, l’écho de la calomnie, et l’envie de l’embrasser pour l’inappréciable information qu’il lui donnait.