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Page:Malato - La Grande Grève.djvu/236

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tout homme, à moins d’être une brute, doit avoir des idées quelconques.

— Et quelles sont les vôtres ? Voulez-vous me les dire ?

L’interrogatoire prenait une tournure inquiétante. Bernard, résolu à demeurer maître de lui, murmura :

— Je ne sais pas si les idées que j’ai… comme c’est mon droit d’en avoir, pourront vous intéresser, mais puisque vous désirez les connaître, monsieur Moschin…

— Certes, j’y tiens extrêmement.

— Eh bien, je voudrais que tout le monde, moi compris, puisse être heureux.

Moschin éclata de rire.

— Excellent cœur ! fit-il ironiquement. Et vous croyez que ce serait possible ?

— Je le crois.

— Eh bien, veuillez m’éclairer de vos hautes lumières. Comment vous y prendriez-vous pour réaliser ce rêve de bonheur universel ?

Bernard s’attendait plutôt à un congé en règle brutalement donné qu’à une conférence contradictoire. Il eut un instant d’hésitation.

Non qu’il ne se sentît capable de répondre au défi que Moschin lui portait d’exposer ses idées. Mais ce défi était un piège. Si le mineur se laissait aller à exposer toute sa pensée, c’était le renvoi immédiat, la perte de son pain.

Pourtant, il sentait, lui Bernard qui qualifiait de brutes les individus sans idées, qu’il lui eût été impossible de jouer la comédie, de désavouer ses convictions. D’ailleurs Moschin, auquel, la veille, il avait tenu tête dans la salle du Fier Lapin, devait être fixé.

— Eh bien, fit le policier-chef, est-ce que vous avez peur ?

C’était une provocation. Bernard répondit, regardant Moschin les yeux dans les yeux :