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Page:Malato - La Grande Grève.djvu/237

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— Pourquoi aurais-je peur ? Un homme en vaut bien un autre, n’est-ce pas ?

Ce « n’est-ce pas ? » par lequel un simple mineur l’invitait, lui, ministre exécutif du baron des Gourdes, à ratifier cette déclaration d’égalité, lui parut des plus impertinents.

Il eut un mouvement pour se lever de son siège, tandis que son impassibilité narquoise disparaissait.

— Ah ! un homme en vaut un autre ! gronda-t-il. Alors vous vous imaginez que vous me valez !

Bernard ne répondit pas, cette fois. Il n’eût pu répondre à Moschin qu’une chose, c’est qu’il valait infiniment mieux que lui, l’égalité morale comme l’égalité sociale n’étant encore qu’une tendance.

Moschin allongea le bras vers la commode de droite et prit le carton étiqueté P 1.

Il l’ouvrit et après avoir rapidement consulté les papiers bien classés, il en tira un : la liste des mineurs travaillant au puits Saint-Pierre no 1.

Tout haut, il lut :

— Bernard (Jean-Désiré), né à Ramonèche (Seine-et-Loir), le 19 février 1860. Sans antécédents. A travaillé à Rive-de-Gier pendant quatre ans, puis est venu à Mersey…

Moschin s’arrêta pour ne pas lire la ligne suivante :

« Interrogé sur ce qu’il pense des grèves, n’a rien su dire. Paraît bon sujet. »

— Lorsque vous êtes venu pour vous embaucher, reprit le policier, je vous ai posé une question… je vous ai demandé l’idée que vous vous faisiez des grèves. Vous avez feint de ne pas savoir répondre.

— Mais que pouvais-je vous dire ?

— Vous n’avez pas d’opinion à ce sujet ?

— Mon opinion est que la grève est une arme de désespoir, qui, le plus souvent, se retourne contre l’ouvrier.

— Mais, enfin, vous ne la condamnez pas ?