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Page:Malato - La Grande Grève.djvu/245

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— Parce que…

Céleste s’arrêta. Elle ne pouvait ajouter : « Parce que j’en aime un autre », et ne voulant pas non plus irriter le jeune paysan en lui laissant croire qu’elle avait pour lui de la répulsion proprement dite. Non, ni répulsion ni affinité, simplement une indifférence absolue.

Jean vit son hésitation et continua :

— Voyons, vous n’allez pas me dire que vous êtes comme ça, parce que vous avez un amoureux. Vous n’avez personne à Véran, pas vrai ?

— Certes, dit Céleste.

— Bon ! quand vous êtes venue vous engager, vous avez dit que vous étiez seule au monde, que vous n’aviez ni famille, ni amant. L’avez-vous dit ?

— Oui.

— Eh bien, alors ?

Dans cet « eh bien, alors ? » il y avait tout un monde : la proposition, presque l’ordre du maître qui s’étonne d’attendre et signifie son ultimatum.

— Écoutez, monsieur Jean, fit Céleste avec beaucoup de dignité malgré un certain tremblement dans la voix, je me suis engagée chez vous pour travailler. Êtes-vous mécontent de mon travail ?

— Non, certes, répondit le fils Mayré, étonné de la résistance de cette servante qui osait discuter avec lui et sentant peut-être une sorte de respect devant cette force morale qui lui était inconnue.

— Est-ce qu’on a quelque chose à me reprocher ? continua Céleste.

— Il ne s’agit pas de cela, murmura Jean.

Et, comme s’il eût été honteux de sa minute d’hésitation, il ajouta brutalement, en couvant la jeune fille d’un regard de convoitise passionnée :

— Tu me plais et je te veux.

Céleste se redressa et, pâle comme si elle eût été frappée au cœur, elle domina à son tour le fils du fermier d’un inexprimable regard de dignité.