Page:Malato - La Grande Grève.djvu/260

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ses « décemvirs », parce qu’ils étaient chargés chacun de la surveillance de dix hommes.

Maintenant, les mouchards l’enveloppaient. Depuis sa scène avec Moschin, un couple était venu s’installer à cinquante mètres de chez lui et il se rendait compte, à mille détails insignifiants, qu’il était surveillé à la fois par le mari et par la femme.

Le mari s’appelait Canul et travaillait comme boiseur au puits Saint-Lucien ; la femme tressait des corbeilles, travail qu’elle exécutait sans hâte, assise au seuil de sa porte et surveillant la maison de son voisin.

Canul faisait partie du syndicat des mineurs et jusqu’alors rien dans ses paroles ou dans ses actes n’avait attiré l’attention sur lui. Aussi Bernard eût-il hésité à le considérer comme mouchard, si son installation aux Mouettes n’eût singulièrement suivi de quarante-huit heures la réunion du Fier Lapin. L’attitude de Mme  Canul confirma ses soupçons.

Puis c’était autour de Bernard des allées et venues continuelles d’individus qu’il n’avait jamais vus auparavant. À la mine, les équipes avaient été disloquées et refondues, de sorte qu’il était impossible aux travailleurs de savoir si leurs nouveaux camarades étaient ou non des espions.

Mais ce qui bouleversait Bernard, pourtant jusqu’alors si maître de lui, c’était la pensée qu’on pouvait le prendre pour un de ces misérables. L’exception singulière faite en sa faveur par Moschin, avait naturellement frappé l’esprit simpliste des mineurs, et il sentait maintenant la défiance s’étendre autour de lui, parmi ceux-là mêmes sur lesquels rayonnait naguère son influence.

Dans son désespoir furieux, il avait eu un moment la pensée de provoquer ouvertement Moschin, de causer une esclandre. Il perdrait son pain, pourrait même être condamné à la prison, mais son honneur serait lavé de tout injuste soupçon.