Page:Malato - La Grande Grève.djvu/261

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Puis il réfléchit, il se demanda si cette satisfaction morale ne serait pas trop chèrement achetée.

Non seulement parce que, chassé de la mine et condamné, il lui serait impossible de trouver du travail ailleurs et que, cependant, il fallait vivre ; mais surtout parce que son départ, c’était la fin d’une œuvre de propagande qu’il menait depuis des années.

Lui parti, que deviendrait à Mersey le mouvement ouvrier ?

Certes, le syndicat pourrait subsister, mais quelle serait son orientation ? Parmi ses membres pleins de bonne volonté et de dévouement, s’en trouverait-il qui eussent au même degré que lui conscience des situations et du rôle dévolu au prolétariat ? S’en trouverait-il possédant à la fois l’énergie et l’habileté indispensables pour se frayer un chemin entre les écueils innombrables qui séparent l’esclavage salarié d’aujourd’hui de l’affranchissement économique de demain ?

Bernard comprenait admirablement ce que sont les syndicats : les noyaux de la future société d’égaux où les travailleurs, libérés du patronat, seront tous co-propriétaires de la richesse commune. Mais il savait combien imparfaits sont encore ces noyaux, appelés à se développer avant de devenir les organismes puissants et jeunes qui élimineront les vieux organismes. Il faut qu’ils acquièrent assez de plasticité pour que l’individu ne soit pas écrasé par le groupement et, en même temps, qu’ils conservent assez de cohésion pour ne pas se briser dans leur lutte contre le capital. Bien qu’il eût décliné les fonctions de président ou de secrétaire, estimant que sa propagande acquerrait plus de force si on ne pouvait lui supposer le moindre but d’ambition ou de vanité, il savait bien qu’il avait été jusqu’alors l’âme et le guide du syndicat.

Sans doute, lui parti, d’autres pourraient surgir qui continueraient la besogne avec autant d’opiniâtreté