Page:Malato - La Grande Grève.djvu/281

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expliquer le brusque départ de leur servante, ne l’eussent pas accusée de vol ou d’autre méfait ?

Céleste, cependant, avait un avantage qu’elle ne possédait pas lors de sa fuite de Mersey. Dans le mouchoir de poche noué, qui lui servait de porte-monnaie, était contenue la somme de deux francs quarante-cinq.

Somme dérisoire, certes ! Mais est-il quelque chose de plus terrible que de se trouver sur la grande route, littéralement sans un sou pour acheter le morceau de pain qui pourra prolonger d’un jour une misérable existence et permettre peut-être de rencontrer le salut.

Ces deux francs quarante-cinq, économisés en trois mois de travail accablant et réalisés par la privation de nourriture chaque fois que Céleste était allée à Chôlon, pourraient lui permettre d’atteindre le Brisot. Elle ne mangerait en route que juste l’indispensable, un peu de pain et quelques fruits sauvages glanés au passage. Elle dormirait la nuit prochaine à la belle étoile.

Autour d’elle, la campagne s’étendait dans l’ombre. La fugitive se sentait comme perdue sur une mer de ténèbres, au milieu de laquelle, d’instinct plus que par la vue, elle suivait la route du Brisot. De temps à autre, elle levait les yeux vers les étoiles qui semblaient, du haut du ciel, la regarder. Était-il vrai, comme elle se rappelait l’avoir entendu dire par un vieux chemineau, que les destinées humaines étaient attachées à ces lumières de l’espace ? Ah ! quelle était donc celle qui présidait à son existence de malheur ?

Elle continua de marcher jusqu’à l’aube. Parfois des aboiements éclataient de la proximité d’habitations. Alors instinctivement elle pressait le pas pour éviter toute surprise dangereuse, on n’a pas le droit d’être sans logis dans notre société démocratique.

Lorsqu’il fit jour, elle osa enfin s’arrêter. Elle pou-