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Page:Malato - La Grande Grève.djvu/283

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rustique : Lait à dix centimes la tasse. C’était le repas le plus économique qu’elle pût faire ; la jeune fille alla demander une tasse de lait, la but lentement, paya et se remit en route.

Dix heures sonnaient aux horloges de Brisot lorsque Céleste entra dans la ville.

C’était la première fois qu’elle mettait le pied dans le fief industriel de Schickler. Tout de suite, elle ressentit une impression étrange d’écrasement. Les grands bâtiments qui s’allongeaient dans les rues tirées au cordeau, les cheminées géantes des hauts fourneaux, des forges et des aciéries envoyant au ciel d’ininterrompues volutes de fumée noire, grise ou bleuâtre ; puis, en face de la ligne du chemin de fer, la cité ouvrière, amoncellement de maisons sombres et hautes semblables à des casernes ; derrière la cité, le cimetière, le champ de repos éternel pour les ouvriers tués de fatigue au service du maître ; puis encore des ateliers et des usines se prolongeant sur une étendue de plusieurs kilomètres jusqu’à la ligne des collines basses, tout cela attestait la puissance d’un seul homme pour lequel travaillaient jour et nuit des légions disciplinées de misérables.

Au centre, cependant, s’entr’ouvrait mystérieusement comme un nid de verdure : la Farnère, dont les hauts arbres s’élevaient derrière les maisons du boulevard du Midi et se prolongeaient en une ligne de frais ombrages vers le village des Pinsons. C’était le parc immense ou plutôt le bois auquel s’adossait la demeure princière de Schickler.

Céleste hésita un instant. Cette échappée de fraîcheur ombreuse l’attirait. Ah ! si elle eût pu s’éloigner de ces maisons noires qui la terrifiaient et des trépidations formidables des machines et marteaux-pilons qui retentissaient en écho jusque dans son cœur, comme elle se fût hâtée de le faire ! Mais les