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Page:Malato - La Grande Grève.djvu/343

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qui porte le ruban violet à sa boutonnière ne peut être un tire-laine ou un escarpe.

— Je vous demande bien pardon de vous aborder de façon aussi familière, dit l’individu, mais nous ne sommes pas tout à fait des inconnus l’un pour l’autre.

— Excusez-moi, bredouilla l’abbé au comble de l’étonnement, je ne me rappelle pas bien…

Il cherchait en vain dans ses souvenirs en regardant cette figure rasée, brûlée d’une large tache brune sur la joue gauche et trouée de deux yeux vifs restés jeunes.

— Me serais-je trompé ? demanda vivement son interlocuteur. Mais non, c’est bien à l’excellent abbé Firot que j’ai l’honneur de parler ?

Il y avait dans son ton, sous la forme courtoise, une ironie intraduisible. Le prêtre se demanda s’il devait se fâcher ou accepter sérieusement le qualificatif d’ « excellent ». Il finit par prendre ce dernier parti.

— En effet, répondit-il, je suis l’abbé Firot. Mais voudrez-vous bien me dire à qui j’ai l’honneur de parler ?

— Quoi ! vous ne reconnaissez pas vos vieux amis ! Voyons ! un peu de mémoire !… Vous ne trouvez pas ?… Eh bien, je vais vous rappeler quelques faits qui vous mettront sur la voie.

Il avait passé son bras sous celui de l’abbé Firot qui, complètement subjugué, n’opposait aucune résistance. Une petite cour étroite et sombre s’ouvrait entre deux hautes murailles, menant à une bâtisse délabrée, entièrement inhabitée : Détras y entraîna le prêtre, après lui avoir murmuré :

— Venez ! Nul ne doit entendre ce que j’ai à vous dire.

L’abbé se demandait s’il n’avait pas affaire à un fou et, comme la rue était déserte, que l’inconnu paraissait vigoureux et agile malgré ses cheveux blancs, il estima que le plus sage était de l’écouter pour s’en débarrasser en douceur.