Page:Malato - La Grande Grève.djvu/450

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Ouvard lut cette idée attristante sur le visage de son ami.

— Eh oui ! fit-il. Je comprends bien ce que tu penses : je pense, moi aussi, que les jaunes ne liront pas beaucoup nos manifestes. Pourtant, il n’y a pas autre chose à faire : il faut essayer.

— Quelqu’un est-il opposé au projet de manifeste ? demanda Paryn.

Aucune voix défavorable ne s’éleva. Détras, sceptique, se borna à murmurer entre ses dents :

— Allez-y du manifeste. Si ça ne fait pas de bien, ça ne fera toujours pas de mal.


XIII

DEUX ROIS


Dans son cabinet de travail, Schickler, roi du Brisot, causait avec des Gourdes, roi de Mersey.

Ridé, entièrement blanchi, et presque chauve, l’œil éteint sauf lorsque se réveillait en lui l’orgueil du capitaliste, Schickler apparaissait le fantôme du Schickler de jadis, galant et encore portant beau. Enfoncé dans son large fauteuil, près de la large table de travail, il parlait d’une voix fatiguée qui semblait déjà venir d’outre-tombe.

Assis en face de lui, des Gourdes, vigoureux et plein de sève, ne pouvait se défendre en le considérant d’un sentiment d’amertume, presque de pitié.

Alors, c’était ainsi que s’en allaient, usés, finis, véritables loques humaines, même les puissants, les capitalistes, véritables rois de la société actuelle ? À quoi donc servaient les millions ?

— Mon cher des Gourdes, disait Schickler, vous avez bien fait de venir me trouver. Une hésitation d’amour-propre eût été ridicule… oui ridicule.

Il s’interrompit un instant. Puis, s’arrachant à sa