Page:Malato - La Grande Grève.djvu/456

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Tout de même, opina sa femme, je crois qu’il faudra en venir un jour au système américain.

Et on se mit à parler des trusts. Certainement n’était-il pas plus intelligent de s’entendre entre grands patrons, d’abord pour rendre impossible toute révolte ouvrière, puis pour réglementer les cours et demeurer maîtres des marchés, opposant en même temps une infranchissable barrière d’or aux ambitions des concurrents de moindre marque ? Ceux-ci deviendraient simplement les vassaux, agents et sous-chefs d’industrie richement rétribués des rois de la houille, du fer et de l’acier. C’était, d’ailleurs, la marche logique des choses : les syndicats ouvriers appelaient comme réponse la constitution des syndicats patronaux et ceux-ci étaient l’embryon possible de futurs trusts européens.

— Vous avez peut-être raison, admit des Gourdes. Il est possible que les capitaux se concentrent, mais pas d’une façon continue, régulière, comme l’affirmait Karl Marx.

Schickler sourit imperceptiblement. Ainsi le baron, champion du trône et de l’autel, s’imprégnait lui-même des théories de Darwin et citait Karl Marx ! Quel signe des temps !

Puis on causa de la situation particulière du département. C’était, somme toute, un des plus contaminés par l’esprit révolutionnaire et les autorités civiles fermaient volontairement les yeux, craignaient de montrer de la poigne ; la petite bourgeoisie elle-même ne valait pas cher : à Môcon et Chôlon, elle soutenait les radicaux. Comme si le radicalisme, sans programme économique, éveillant toutes les aspirations et impuissant à en satisfaire aucune, n’était pas une simple étape dans la marche vers une révolution sociale destinée à engouffrer la petite bourgeoisie elle-même !

Ainsi parlaient les deux concurrents dans un sentiment commun.