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Page:Malato - La Grande Grève.djvu/47

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— Tu as raison pour les sociétés politiques, lui répondit Vilaud, mais nous sommes simplement une société de secours mutuels ; nous n’avons qu’une seule chose à faire : payer notre cotisation.

— C’est vrai, murmura Détras. J’oubliais !

Depuis quelques semaines, sans que son caractère eût changé, ses idées subissaient une évolution. Auparavant, sous l’influence de son père, il considérait la République avec une sorte de ferveur mystique. Ce mot, que les habiles de la politique exploitaient, n’était pas pour lui un mot ; c’était une entité vivante qui, par sa propre vertu, finirait, triomphant des embûches de la réaction — une autre entité — par affranchir le prolétariat et faire fraterniser les peuples. Le vieux républicain de 48 avait déteint sur lui. Vers la fin, cependant, Albert en arrivait à se demander si cette foi républicaine n’était pas de la religiosité pure et simple. Après la mort de son père, cette tendance, n’ayant plus de contrepoids, s’accentua. Il comprit que cette révolution sociale, dont Panuel, le premier, lui avait parlé, ne tomberait pas du ciel, mais serait l’œuvre du peuple, entraîné par une élite consciente. Pas les profiteurs de la politique, les parlotteurs des Congrès, non ! d’anonymes convaincus, modestes et résolus comme lui-même.

Déjà, sans se l’avouer, il trouvait Ronnot trop modéré. Pourquoi se donner tant de mal, tant de précautions pour créer une simple société de secours mutuels que l’omnipotence de Chamot pouvait briser d’un coup en renvoyant de la mine tous ses membres connus ? Pendant qu’on y était, autant eût valu créer un syndicat qui eût commencé la lutte économique en attendant la lutte révolutionnaire.

Arrivés au faubourg de Vertbois, les deux hommes se serrèrent la main et se séparèrent sur ce mot :

— À ce soir !

Albert, resté seul, doubla le pas. Geneviève l’attendait au seuil de sa porte.