Page:Malato - La Grande Grève.djvu/489

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assez à faire de s’occuper de la basse-cour et des ruminants ; Galfe et Céleste, quoique fort travailleurs, étaient des poètes. Lui, au contraire, trempé par sa vie toute d’action, demeurait l’esprit pratique en même temps que hardi.

Ce fut lui qui, au cours d’une tournée à Chôlon, jeta son dévolu sur le local de la rue Nationale. La boutique, tenue précédemment par un épicier sombré dans la faillite, était à louer pour presque rien. Détras la prit, la fit badigeonner à neuf et la décora d’une enseigne à la gloire de la Ferme nouvelle.

Mais une boutique ne se gère pas toute seule. Il fut décidé que Galfe et Céleste viendraient l’inaugurer et demeureraient à Chôlon pendant trois mois — le temps nécessaire pour qu’une clientèle attitrée se formât. Ensuite Panuel viendrait les remplacer pour quelque temps. Pendant leur absence, le brave homme garderait leur habitation qu’il avait clôturée et augmentée d’un petit pavillon où il coucherait. Car, par un sentiment raffiné de délicatesse, il ne voulait pas même entrer dans la chambre de Galfe et de Céleste : l’amour y avait fait son nid, nul profane, même un ami, ne devait y pénétrer !

Ce roulement permettait de concilier les affaires et le sentiment. D’ailleurs, si les deux amants demeuraient attachés à Mersey par d’indestructibles liens, ils se trouvaient bien partout où ils étaient ensemble.

Et pourtant, le second jour de leur arrivée à Chôlon, Céleste s’était soudain sentie prise de tristesse : une tristesse inexplicable, sans motifs, quelque chose comme l’ombre projetée par un malheur qui s’avançait vers eux.

Tous deux s’étaient trop pénétrés de la même vie pour que les impressions de l’un ne fussent pas immédiatement ressenties par l’autre. Quelque effort que fît Céleste pour dissimuler, Galfe s’aperçut immédiatement de son trouble.