Page:Malato - La Grande Grève.djvu/491

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


XVII

LE NOUVEAU PRÉFET


Dans le cabinet du nouveau préfet de Seine-et-Loir, l’huissier, galonné et argenté sur tranches, comme il convient à un employé même subalterne de notre démocratie, introduisit respectueusement le baron des Gourdes.

Alfred Jolliveau, préfet de Seine-et-Loir depuis vingt-quatre heures, se leva précipitamment de son fauteuil et vint au-devant du directeur de la Compagnie de Pranzy, le sourire aux lèvres, la main tendue, l’accueillant de ce mot significatif :

— Merci !…

Le nouveau préfet était un homme d’environ quarante ans, à la physionomie énergique, mais vulgaire et même, par moments, bestiale. Les cheveux noirs et drus, coupés à l’ordonnance, les fortes moustaches se rejoignant à d’épais favoris taillés en côtelettes, lui donnant tout à fait l’aspect d’un officier de hussards. L’œil vif dissimulait parfois sa flamme derrière un binocle ; la mâchoire terriblement épaisse annonçait la prédominance des appétits brutaux.

— Je suis heureux de vous apporter mon hommage d’administré, dit en riant le baron qui s’assit dans un fauteuil préfectoral.

Et dans ce mot « hommage », prononcé avec une désinvolture enjouée qui eût pu passer pour ironique, on sentait la condescendance du grand seigneur, aimable, vis-à-vis de son protégé. Car le protégé était bel et bien le préfet et le protecteur, des Gourdes.

— Je sais tout ce que vous avez fait pour emporter ma nomination, dit Jolliveau.

— Ne parlons pas de cela, répondit le baron. Nous avons réussi, voilà l’essentiel… Il est seulement fâcheux que ce n’ait pas été plus tôt.