Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/100

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miner en détail les erreurs où chacun de nos sens nous porte ; mais on ne s’arrêtera pas à ces choses, parce qu’après ce que l’on a déjà dit, un peu d’attention suppléera facilement à des discours en nuyeux que l’on serait obligé de faire. On va seulement rapporter les erreurs générales où notre vue nous fait tomber touchant la lumière et les couleurs, et Fon croit que cet exemple suffira pour faire reconnaître les erreurs de tous les autres sens.

Lorsque nous avons regardé quelques moments le soleil, voici ce qui se passe dans nos yeux et dans notre âme, et les erreurs dans lesquelles nous tombons.

Ceux qui savent les premiers éléments de la dioptrique et quelque chose de la structure admirable des yeux, n’ignorent pas que les rayons du soleil souffrent réfraction dans le cristallin et dans les autres humeurs, et qu’ils se rassemblent ensuite sur la rétine ou nerf optique, qui tapisse tout le fond de l’œil, de la même manière que les rayons du soleil qui traversent une loupe ou verre convexe se rassemblent au foyer ou point brûlant de ce verre, à deux, trois ou quatre pouces de lui, à proportion de sa convexité. Or, l’expérience apprend que si on met au foyer de cette loupe quelque petit morceau d’étoffe ou de papier noir, les rayons du soleil font une si grande impression sur cette étoffe ou sur ce papier, et ils en agitent les petites parties avec tant de violence, qu’ils les rompent et les séparent les unes des autres ; en un mot, qu’ils les brûlent ou les réduisent en fumée et en cendres[1].

Ainsi l’on doit conclure de cette expérience que si le nerf optique était noir, et que si la prunelle ou le trou de l’uvée par laquelle la lumière entre dans les yeux s’élargissait pour laisser librement passer les rayons du soleil, au lieu qu’elle se rétrécit pour les en empêcher, il arriverait la même chose à notre rétine qu’à cette étoffe ou à ce papier noir, et ses fibres seraient si fort agitées qu’elles seraient bientôt rompues et brûlées. C’est pour cette raison que la plupart des hommes sentent une grande douleur s’ils regardent pour un moment le soleil, parce qu’ils ne peuvent si bien fermer le trou de la prunelle qu’il n’y passe toujours assez de rayons pour agiter les filets du nerf optique avec beaucoup de violence et avec quelque sujet de craindre qu’ils ne se rompent.

L’âme n’a aucune connaissance de tout ce que nous venons de dire ; et quand elle regarde le soleil, elle n’aperçoit ni son nerf optique ni qu’il y ait du mouvement dans ce nerf ; mais cela n’est

  1. Le papier noir brûle facilement, mais il faut une loupe plus grande ou plus convexe pour brûler du papier blanc.