Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/99

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cement et dans la suite de cet ouvrage, il sera facile de voir que, de toutes les choses qui se trouvent dans chaque sensation, l’erreur ne se rencontre que dans les jugements que nous faisons, que nos sensations sont dans les objets.

Premièrement, ce n’est pas une erreur d’ignorer que l’action des objets consiste dans le mouvement de quelques-unes de leurs parties, et que ce mouvement se communique aux organes de nos sens, qui sont les deux premières choses qui se trouvent dans chaque sensation ; car il y a bien de la différence entre ignorer une chose et être dans une erreur à l’égard de cette chose.

Secondement, nous ne nous trompons point dans la troisième, qui est proprement la sensation. Lorsque nous sentons de la chaleur, lorsque nous voyons de la lumière, des couleurs ou d’autres objets, il est vrai que nous les voyons, quand même nous serions frénétiques ; car il n’y a rien de plus vrai que tous les visionnaires voient ce qu’ils voient, et leur erreur ne consiste que dans les jugements qu’ils font que ce qu’ils voient existe véritablement au dehors à cause qu’ils le voient au dehors.

C’est ce jugement qui renferme un consentement de notre liberté, et par conséquent qui est sujet à l’erreur ; et nous devons toujours nous empêcher de le faire, selon la règle que nous avons mise au commencement de ce livre : que nous ne devons jamais juger de quoi que ce soit, lorsque nous pouvons nous en empêcher, et que l’évidence et la certitude ne nous y contraignent pas ; comme il arrive ici ; car, quoique nous nous sentions extrêmement portés, par une habitude très-forte, à juger que nos sensations sont dans les objets, comme que la chaleur est dans le feu et les couleurs dans les tableaux, cependant nous ne voyons point de raison certaine et évidente qui nous presse et qui nous oblige à le croire ; et ainsi nous nous soumettons volontairement à l’erreur, par le mauvais usage que nous faisons de notre liberté, quand nous formons librement de tels jugements.


CHAPITRE XV.
Explication des erreurs particulières de la vue, pour servir d’exemple des erreurs générales de nos sens.


Nous avons donné, ce me semble, assez d’ouverture pour reconnaître les erreurs de nos sens à l’égard des qualités sensibles en général, desquelles on a parlé à l’occasion de la lumière et des couleurs, que l’ordre demandait qu’on expliquât. Il semble qu'on devrait maintenant descendre un peu dans le particulier et exa-