Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/112

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pondent aux termes dont on se sert. Or, s’ils avaient fixé des idées claires et distinctes à l’un et à l’autre de ces mots, ils verraient que ce qu’ils appellent pur serait souvent très-impur, et que ce qui leur parait impur se trouverait souvent très-pur.

S’ils voulaient, par exemple, que cette matière-là fût la plus pure et la plus parfaite dont les parties seraient les plus déliées et les plus faciles à se mouvoir, l’or, l’argent et les pierres précieuses seraient des corps extrêmement imparfaits, et l’air et le feu seraient au contraire très-parfaits. Quand de la chair viendrait à se corrompre et à sentir mauvais, ce serait alors qu’elle commencerait à se perfectionner, et une charogne puante serait un corps bien plus parfait que la chair ordinaire.

Que si au contraire ils voulaient que les corps les plus parfaits fussent ceux dont les parties seraient les plus grosses, les plus solides et les plus difficiles à remuer, de la terre serait plus parfaite que de l’or, et l’air et le feu seraient les corps les plus imparfaits.

Que si on ne veut pas attacher aux termes de pur et de parfait les idées distinctes dont je viens de parler, il est permis d’en substituer d’autres en leur place. Mais si on prétend ne définir ces mots que par des notions sensibles, on confondre éternellement toutes choses, puisqu’on ne fixera jamais la signification des termes qui les expriment. Tous les hommes, comme l’on a déjà prouvé, ont des sensations bien différentes des mêmes objets ; donc on ne doit pas définir ces objets par les sensations qu’on’en a, si on ne veut parler sans s’entendre, et mettre la confusion partout.

Mais au fond je ne vois pas qu’il y ait de matière, fùt-ce celle dont les cieux sont composés, qui contienne en soi plus de perfection que les autres. Toute matière ne semble capable que de figures et de mouvements, et il lui est égal d’avoir des figures et des mouvements réguliers, ou d’en avoir d’irréguliers. La raison ne nous dit pas que le soleil soit plus parfait ni plus lumineux que la boue, ni que ces beautés de nos romans et de nos poëtes aient aucun avantage sur les cadavres les plus corrompus. Ce sont nos sens faux et trompeurs qui nous le disent. On a beau se récrier ; toutes les railleries et les exclamations paraîtront froides et badines à ceux qui examineront attentivement les raisons qu’on a apportées.

Ceux qui savent seulement sentir croient que le soleil est plein de lumière ; mais ceux qui savent sentir et raisonner ne le croient pas, pourvu qu’ils sachent aussi bien raisonner qu’ils savent sentir. On est très-persuadé que ceux même qui défèrent le plus au témoignage de leurs sens entreraient dans le sentiment où l’on est s’ils avaient bien médité les choses que l’on a dites. Mais ils ai-