Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/118

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en peine. Il suffit qu’il y ait une partie principale ; et cela est même absolument nécessaire, comme aussi que le fond du système de M. Descartes subsiste. Car il faut remarquer que quand il se serait trompé, comme il y a bien de l’apparence, lorsqu’il a assuré que c’est à la glande pinéale que l’âme est immédiatement unie, cela toutefois ne pourrait faire de tort au fond de son système, duquel on tirera toujours toute l’utilité qu’on peut attendre du véritable, pour avancer dans la connaissance de l’homme.

III. Puis donc que l’imagination ne consiste que dans la force qu’a l’âme de se former des images des objets, en les imprimant pour ainsi dire dans les fibres de son cerveau ; plus les vestiges des esprits animaux, qui sont les traits de ces images, seront grands et distincts, plus l’âme imaginera fortement et distinctement ces objets. Or de même que la largeur, la profondeur et la netteté des traits de quelque gravure dépend de la force dont le burin agit et de l’obéissance que rend le cuivre, ainsi la profondeur et la netteté des vestiges de l’imagination dépend de la force des esprits animaux, et de la constitution des fibres du cerveau ; et c’est la variété qui se trouve dans ces deux choses qui fait presque toute cette grande différence, que nous remarquons entre les esprits.

Car il est assez facile de rendre raison de tous les différents caractères qui se rencontrent dans les esprits des hommes : d’un côté par l’abondance, et la disette, par l’agitation, et la lenteur, par la grosseur et la petitesse des esprits animaux ; et de l’autre, par la délicatesse et la grossièreté, par l’humidité, et la sécheresse, par la facilité et la difficulté de se ployer des fibres du cerveau, et enfin par le rapport que les esprits animaux peuvent avoir avec ces fibres. Et il serait fort à propos que d’abord chacun tâchât d’imaginer toutes les différentes combinaisons de ces choses, et qu’on les appliquât soi-même à toutes les différences qu’on a remarquées entre les esprits ; parce qu’il est toujours plus utile et même plus agréable de faire usage de son esprit, et de l’accoutumer ainsi à découvrir par lui-même la vérité, que de le laisser corrompre dans l’oisiveté, en ne l’appliquant qu’à des choses toutes digérées, et toutes développées. Outre qu’il y a des choses si délicates et si fines dans la différence des esprits, qu’on peut bien quelquefois les découvrir et les sentir soi-même, mais on ne peut pas les représenter ni les faire sentir aux autres.

Mais afin d’expliquer autant qu’on le peut toutes ces différences qui se trouvent entre les esprits, et afin qu’un chacun remarque plus aisément dans le sien même la cause de tous les changements, qu’il y sent en différents temps, il semble à propos d’examiner en