Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/125

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Or, parce que la faculté d’imaginer reçoit de grands changements par ceux qui arrivent aux esprits animaux, et que les esprits animaux sont fort différents selon la différente fermentation ou agitation du sang qui se fait dans le cœur, il est facile de reconnaître ce qui fait que les personnes passionnées imaginent les choses tout autrement que ceux qui les considèrent de sang-froid.

II. L’autre cause, qui contribue fort à diminuer et à augmenter ces fermentations extraordinaires du sang, consiste dans l’action de plusieurs autres rameaux des nerfs, desquels nous venons de parler.

Ces rameaux se répandent dans le foie, qui contient la plus subtile partie du sang, ou ce qu’on appelle ordinairement la bile ; dans la rate, qui contient la plus grossière, ou la mélancolie ; dans le pancréas, qui contient un suc acide très-propre, ce semble, pour la fermentation ; dans l’estomac, les boyaux et les autres parties qui contiennent le chyle ; enfin ils se répandent dans tous les endroits, qui peuvent contribuer quelque chose pour varier la fermentation ou le mouvement du sang. Il n’y a pas même jusqu’aux artères et aux veines qui ne soient liées de ces nerfs, comme M. Willis l’a découvert du tronc inférieur de la grande artère qui en est liée proche du cœur, de l’artère axillaíre du côté droit, de la veine émulgente et de quelques autres.

Ainsi l’usage des nerfs étant d’agiter diversement les parties auxquelles ils sont attachés, il est facile de concevoir comment, par exemple, le nerf qui environne le foie peut en le serrant faire couler grande quantité de bile dans les veines et dans le canal de la bile, laquelle s’étant mêlée avec le sang dans les veines, et avec le chyle par le canal de la bile, entre dans le cœur et y produit une chaleur bien plus ardente qu’à l’ordinaire. Ainsi lorsqu’on est ému de certaines passions, le sang bout dans les artères et dans les veines ; l’ardeur se répand dans tout le corps ; le feu monte à la tête, et elle se remplit d’un si grand nombre d’esprits animaux trop vifs et trop agités, que par leur cours impétueux ils empêchent l’imagination de se représenter d’autres choses que celles dont ils forment des images dans le cerveau, c’est-à-dire de penser à d’autres objets qu’à ceux de la passion qui domine.

Il en est de même des petits nerfs qui vont à la rate ou à d’autres parties qui contiennent une matière plus grossière et moins susceptible de chaleur et de mouvement ; ils rendent l’imagination toute languissante et tout assoupie, en faisant couler dans le sang quelque matière grossière et difficile à mettre en mouvement.