Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pour les nerfs qui environnent les artères et les veines, leur usage est d’empêcher le sang de passer, et de l’obliger en les serrant de s’écouler dans les lieux où il trouve le passage libre. Ainsi la partie de la grande artère qui fournit du sang à toutes les parties qui sont au-dessous du cœur, étant liée et serrée par ces nerfs, le sang doit nécessairement entrer dans la tête en plus grande abondance, et produire ainsi du changement dans les esprits animaux, et par conséquent dans l’imagination.

III. Il faut bien remarquer que tout cela ne se fait que par machine, je veux dire que tous les différents mouvements de ces nerfs dans toutes les passions différentes n’arrivent point par le commandement de la volonté, mais se font au contraire sans ses ordres, et même contre ses ordres ; de sorte qu’un corps sans âme disposé comme celui d’un homme sain, serait capable de tous les mouvements qui accompagnent nos passions. Ainsi les bêtes mêmes en peuvent avoir de semblables quand elles ne seraient que de pures machines.

C’est ce qui nous doit faire admirer la sagesse incompréhensible de celui qui a si bien rangé tous ces ressorts, qu’il suffit qu’un objet remue légèrement le nerf optique d’une telle ou telle manière pour produire tant de divers mouvements dans le cœur, dans les autres parties intérieures du corps et même sur le visage. Car on a découvert depuis peu que le même nerf qui répand quelques rameaux dans le cœur et dans les autres parties intérieures, communique aussi quelques-unes de ses branches aux yeux, à la bouche et aux autres parties du visage. De sorte qu’il ne peut s’élever aucune passion au dedans qui ne paraisse au dehors, parce qu’il ne peut y avoir de mouvement dans les branches qui vont au cœur, qu’il n’en arrive quelqu’un dans celles qui sont répandues sur le visage.

La correspondance et la sympathie qui se trouve entre les nerfs du visage et quelques autres qui répondent à d’autres endroits du corps qu’on ne peut nommer, est encore bien plus remarquable ; et ce qui fait cette grande sympathie, c’est, comme dans les autres passions, que les petits nerfs qui vont au visage ne sont encore que des branches de celui qui descend plus bas.

Lorsqu’on est surpris de quelque passion violente, si l’on prend soin de faire réflexion sur ce que l’on sent dans les entrailles et dans les autres parties du corps où les nerfs s’insinuent, comme aussi aux changements de visage qui l’accompagnent ; et si on considère que toutes ces diverses agitations de nos nerfs sont entièrement involontaires, et qu’elles arrivent même malgré toute la