Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faut définir pour ôter les équivoques ; mais, autant qu’on le peut, il faut se servir de termes qui soient reçus ou dont la signification ordinaire ne soit pas fort éloignée de celle qu’on prétend introduire, et c’est ce qu’on n’observe pas toujours dans les mathématiques.

On ne prétend pas aussi, par ce qu’on vient de dire, condamner l’algèbre, telle principalement que M. Descartes l’a rétablie ; car encore que la nouveauté de quelques expressions de cette science lasse d’abord quelque peine à l’esprit, il y a si peu de variété et de confusion dans ces expressions, et le secours que l’esprit en reçoit surpasse si fort la difficulté qu’il y a trouvée, qu’on ne croit pas qu’il se puisse inventer une manière de raisonner et d’exprimer ses raisonnements qui s’accommode mieux avec la nature de l’esprit et qui puisse le porter plus avant dans la découverte des vérités inconnues. Les expressions de cette science ne partagent point la capacité de l’esprit ; elles ne chargent point la mémoire ; elles abrègent d’une manière merveilleuse toutes nos idées et tous nos raisonnements, et elles les rendent même en quelque manière sensibles par l’usage. Enfin leur utilité est beaucoup plus grande que celle des expressions, quoique naturelles, des figures dessinées de triangles, de carrés et autres semblables qui ne peuvent servir à la recherche et à l’exposition des vérités un peu cachées : mais c’est assez parler de la liaison des idées avec les traces du cerveau ; il est à propos de dire quelque chose de la liaison des traces les unes avec les autres, et par conséquent de celle qui est entre les idées qui répondent à ces traces.

II. Cette liaison consiste en ce que les traces du cerveau se lient si bien les unes avec les autres qu’elles ne peuvent plus se réveiller sans toutes celles qui ont été imprimées dans le même temps. Si un homme, par exemple, se trouve dans quelque cérémonie publique, s’il en remarque toutes les circonstances et toutes les principales personnes qui y assistent, le temps, le lieu, le jour et toutes les autres particularités, il suffira qu’il se souvienne du lieu, ou même d’une autre circonstance moins remarquable de la cérémonie, pour se représenter toutes les autres. C’est pour cela que quand nous ne nous souvenons pas du nom principal d’une chose, nous le désignons suffisamment en nous servant d’un nom qui signifie quelque circonstance de cette chose. Comme ne pouvant pas nous souvenir du nom propre d’une église, nous pouvons nous servir d’un autre nom qui signifie une chose qui y a quelque rapport. Nous pouvons dire : c’est cette église où il y avait tant de presse, où monsieur… prêchait, où nous allâmes dimanche ; et ne pouvant