Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/135

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trouver le nom propre d’une personne, ou étant plus à propos de le désigner d’une autre manière, on le peut marquer par ce visage picoté de vérole, ce grand homme bienfait, ce petit bossu, selon les inclinations qu’on a pour lui, quoiqu’on ait tort de se servir de paroles de mépris.

Or la liaison mutuelle des traces, et par conséquent des idées les unes avec les autres, n’est pas seulement le fondement de toutes les figures de la rhétorique, mais encore d’une infinité d’autres choses de plus grande conséquence dans la morale, dans la politique, et généralement dans toutes les sciences qui ont quelque rapport à l’homme, et par conséquent de beaucoup de choses dont nous parlerons dans la suite.

La cause de cette liaison de plusieurs traces est l’ídentité du temps auquel elles ont été imprimées dans le cerveau, car il suffit que plusieurs traces aient été produites dans le même temps, afin qu’elles ne puissent plus se réveiller que toutes ensemble, parce que les esprits animaux trouvant le chemin de toutes la traces qui se sont faites dans le même temps, en trouvent, ils y continuent leur chemin à cause qu’ils y passent plus facilement que par les autres endroits du cerveau : c’est là la cause de la mémoire et des habitudes corporelles qui nous sont communes avec les bêtes.

Ces liaisons des traces ne sont pas toujours jointes avec les émotions des esprits, parce que toutes les choses que nous voyons ne nous paraissent pas toujours ou bonnes ou mauvaises. Ces liaisons peuvent aussi changer et se rompre, parce que n’étant pas toujours nécessaires à la conservation de la vie, elles ne doivent pas toujours être les mêmes.

Mais il y a dans notre cerveau des traces qui sont liées naturellement les unes avec les autres, et encore avec certaines émotions des esprits, parce que cela est nécessaire à la conservation de la vie, et leur liaison ne peut se rompre, ou ne peut se rompre facilement, parce qu’il est bon qu’elle soit toujours la même. Par exemple, la trace d’une grande hauteur que l’on voit au-dessous de soi, et de laquelle on est en danger de tomber, ou la trace de quelque grand corps qui est prêt à tomber sur nous et à nous écraser, est naturellement liée avec celle qui nous représente la mort, et avec une émotion des esprits qui nous dispose à la fuite et au désir de fuir. Cette liaison ne change jamais, parce qu’il est nécessaire qu’elle soit toujours la même, et elle consiste dans une disposition des fibres du cerveau que nous avons des notre naissance.

Toutes les liaisons qui ne sont point naturelles se peuvent et se doivent rompre, parce que les différentes circonstances des temps