Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/137

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petit pour conserver des vestiges et des impressions en fort grand nombre, on aura le plaisir de découvrir la cause de tous ces effets surprenants de la mémoire, dont parle saint Augustin avec tant d’admiration, dans le dixième livre de ses Confessions. Et l’on ne veut pas expliquer ces choses plus au long, parce qque l’on croit qu’il est plus à propos que chacun se les explique à soi-même par quelque effort d’esprit ; à cause que les choses qu’on découvre par cette voie sont toujours plus agréables, et font davantage d’impression sur nous que celles qu’on apprend des autres.

IV. Pour l’explication des habitudes, il est nécessaire de savoir la manière dont on a sujet de penser que l’âme remue les parties du corps auquel elle est unie. La voici. Selon toutes les apparences du monde, il y a toujours dans quelques endroits du cerveau, quels qu’ils soient, un assez grand nombre d’esprits animaux très-agités par la chaleur du cœur d’où ils sont sortis, et tous prêts de couler dans les lieux où ils trouvent le passage ouvert. Tous les nerfs aboutissent au réservoir de ces esprits, et l’âme a le pouvoir de déterminer leur mouvement et de les conduire par ces nerfs dans tous les muscles du corps. Ces esprits y étant entrés, ils les enflent, et par conséquent ils les raccourcissent ; ainsi ils remuent les parties auxquelles ces muscles sont attachés.

On n’aura pas de peine à se persuader que l’âme remue le corps de la manière qu’on vient d’expliquer, si on prend garde que, lorsqu’on a été long-temps sans manger, on a beau vouloir donner de certains mouvements à son corps, on n’en peut venir à bout, et même l’on a quelque peine à se soutenir sur ses pieds. Mais si on trouve moyen de faire couler dans son cœur quelque chose de fort spiritueux, comme du vin ou quel qu’autre pareille nourriture, on sent aussitôt que le corps obéit avec beaucoup plus de facilité, et l’on se remue en toutes les manières qu’on souhaite. Car cette seule expérience fait, ce me semble, assez voir que l’âme ne pouvait donner de mouvement à son corps faute d’esprits animaux, et que c’est par leur moyen qu’elle a recouvre son empire sur lui.

Or, les enflures des muscles sont si visibles et si sensibles dans les agitations de nos bras et de toutes les parties de notre corps, et il est si raisonnable de croire que ces muscles ne se peuvent enfler, que parce qu’il y entre quelque corps, de même qu’un ballon ne petit se grossir ni s’enfler que parce qu’il y entre de l’air ou autre chose, qu’il semble qu’on ne puisse douter que les esprits animaux ne soient poussés du cerveau, par les nerfs, jusque dans les muscles, pour les enfler et pour y produire tous les mouvements que nous souhaitons : car un muscle étant plein, il est nécessairement