Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/136

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et des lieux les doivent changer, afin qu’elles soient utiles à la conservation de la vie. Il est bon que les perdrix, par exemple, fuient les hommes qui ont des fusils, dans les lieux ou dans les temps où l’on leur fait la chasse ; mais il n’est pas nécessaire qu’elles les fuient en d’autres lieux et en d’autres temps. Ainsi, pour la conservation de’tous les animaux, il est nécessaire qu’il y ait de certaines liaisons de traces qui se puissent former et détruire facilement ; qu’il y en ait d’autres qui ne se puissent rompre que difficilement, et d’autres enfin qui ne se puissent jamais rompre.

Il est très-utile de rechercher avec soin les différents effets que ces différentes liaisons sont capables de produire ; car ces effets sont en très-grand nombre et de très-grande conséquence pour la connaissance de l’homme.

III. Pour explication de la mémoire, il suffit de bien comprendre cette vérité : que toutes nos différentes perceptions sont attachées aux changements qui arrivent aux fibres de la partie principale du cerveau dans laquelle l’âme réside plus particulièrement, parce que ce seul principe supposé, la nature de la mémoire est expliquée. Car de même que les branches d’un arbre, qui ont demeure quelque temps ployées d’une certaine façon, conservent quelque facilité pour être ployées de nouveau de la même manière, ainsi les fibres du cerveau, ayant une fois reçu certaines impressions par le cours des esprits animaux et par l’action des objets, gardent assez longtemps quelque facilité pour recevoir ces mêmes dispositions. Or la mémoire ne consiste que dans cette facilité, puisque l’on pense aux mêmes choses lorsque le cerveau reçoit les mêmes impressions.

Comme les esprits animaux agissent tantôt plus et tantôt moins fort sur la substance du cerveau, et que les objets sensibles font des impressions bien plus grandes que l’imagination toute seule, il est facile de là de reconnaître pourquoi on ne se souvient pas également de toutes les choses que l’on a aperçues ; pourquoi, par exemple, ce que l’on a aperçu plusieurs fois se représente d’ordinaire à l’àme plus nettement que ce que l’on n’a aperçu qu’une ou deux fois ; pourquoi on se souvient plus distinctement des choses qu’on a vues que de celles qu’on a seulement imaginées ; et ainsi pourquoi on saura mieux, par exemple, la distribution des veines dans le foie après l’avoir vue une seule fois dans la dissection de cette partie qu’après l’avoir lue plusieurs fois dans un livre d’anatomie, et d’autres choses semblables.

Que si on veut faire réflexion sur ce qu’on a dit auparavant de l’imagination et sur le peu que l’on vient de dire de la mémoire, et si l’on est délivré de ce préjugé, que notre cerveau est trop