Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/151

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produisent leurs semblables et avec des vestiges semblables dans leur cerveau, lesquels sont cause que les animaux de même espèce ont les mêmes sympathies et antipathies, et qu’ils font les mêmes actions dans les mêmes rencontres ; ainsi nos premiers parents, après leur péché, ont reçu dans leur cerveau de si grands vestiges et des traces si profondes par l’impression des objets sensibles, qu’ils pourraient bien les avoir communiqués à leurs enfants. De sorte que cette grande attache que nous avons déjà dès le ventre de nos mères à toutes les choses sensibles, et ce grand éloignement de Dieu où nous sommes en cet état, pourrait être expliqué en quelque manière par ce que nous venons de dire.

Car comme il est nécessaire, selon l’ordre établi de la nature, que les pensées de l’âme soient conformes aux traces qui sont dans le cerveau, on pourrait dire que dès que nous sommes formés dans le ventre de nos meres, nous sommes dans le péché et infectés de la corruption de nos parents, puisque des ce temps-la nous sommes très-fortement attachés aux plaisirs de nos sens. Ayant dans notre cerveau des traces semblables à celles des personnes qui nous donnent l’être, il est nécessaire que nous ayons aussi les mêmes pensées et les mêmes inclinations qui ont rapport aux objets sensibles.

Ainsi nous devons naître avec la concupiscence et avec le péché originel[1]. Nous devons naître avec la concupiscence, si la concupiscence n’est que l’effort naturel que les traces du cerveau font sur l’esprit pour l’attacher aux choses sensibles ; et nous devons naître dans le péché originel, si le péché originel n’est autre chose que le règne de la concupiscence et que ses efforts comme victorieux et connue maîtres de l’esprit. et du cœur de l’enfant[2]. Or il y a grande apparence que le règne de la concupiscence ou la victoire de la concupiscence est ce qu’on appelle péché originel dans les enfants et péché actuel dans les hommes libres.

VI. Il semble seulement qu’on pourrait conclure des principes que je viens d’établir une chose contraire à l’expérience, savoir que la mère devrait toujours communiquer à son enfant des habitudes et des inclinations semblables à celles qu’elle a, et la facilité d’imaginer et d’apprendre les mêmes choses qu’elle connaît ; car toutes ces choses ne dépendent, comme l’on a dit, que des traces et des vestiges du cerveau. Or, il est certain que les traces et les vestiges du cerveau des mères se communiquent aux enfants. On a prouvé ce fait par les exemples qu’on a rapportés touchant les hommes, et il est encore confirmé par l’exemple des animaux, dont les petits ont

  1. Voy. encore l’ÉcIairc. sur le péché originel.
  2. S Paul aux Rom., ch. 6. 5, 12. 11, etc.