Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/164

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femmes de même âge, ou de même pays, ou de même famille, aient le cerveau de même constitution. Il est plus à propos de croire que comme on ne peut trouver deux visages qui se ressemblent entièrement, on ne peut trouver deux imaginations tout à fait semblables ; et que tous les hommes, les femmes et les enfants ne diffèrent entre eux que du plus et du moins dans la délicatesse des fibres de leur cerveau. Car de même qu’il ne faut pas supposer trop vite une identité essentielle entre des choses entre lesquelles on ne voit point de différence, il ne faut pas mettre aussi des différences essentielles où on ne trouve pas de parfaite identité. Car ce sont là des-défauts où l’on tombe ordinairement.

Ce qu’on peut donc dire des fibres du cerveau, c’est que d’ordinaire elles sont très-molles et très-délicates dans les enfants ; qu’avec l’âge elles se durcissent et se fortifient ; que cependant la plupart des femmes et quelques hommes les ont toute leur vie extrêmement délicates. On ne saurait rien déterminer davantage. Mais c’est assez parler des femmes et des enfants ; ils ne se mêlent pas de rechercher la vérité et d’en instruire les autres : ainsi leurs erreurs ne portent pas beaucoup de préjudice ; car on ne les croit guère dans les choses qu’ils avancent. Parlons des hommes faits, de ceux dont l’esprit est dans sa force et dans sa vigueur, et que l’on pourrait croire capables de trouver la vérité et de l’enseigner aux autres.

II. Le temps ordinaire de la plus grande perfection de l’esprit est depuis trente jusqu’à cinquante ans. Les fibres du cerveau en cet âge ont acquis pour l’ordinaire une consistance médiocre. Les plaisirs et les douleurs des sens ne font presque plus d’impression sur elles. De sorte qu’on n’a plus à se défendre que des passions violentes qui arrivent rarement et desquelles on peut se mettre à couvert, si on en évite avec soin toutes les occasions. Ainsi l’âme n’étant plus divertie par les choses sensibles, elle peut contempler facilement la vérité.

Un homme dans cet état et qui ne serait point rempli des préjugés de l’enfance, qui dès sa jeunesse aurait acquis de la facilité pour la méditation, qui ne voudrait s’arrêter qu’aux notions claires et distinctes de l’esprit, qui rejetterait soigneusement toutes les idées confuses des sens et qui aurait le temps et la volonté de méditer, ne tomberait sans doute que difficilement dans l’erreur. Mais ce n’est pas de cet homme dont il faut parler, c’est des hommes du commun qui n’ont pour l’ordinaire rien de celui-ci.

Je dis donc que la solidité et la consistance qui se rencontre avec l’âge dans les fibres du cerveau des hommes, fait la solidité et la