Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/181

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Mais en matière de philosophie on doit au contraire aimer la nouveauté, par la même raison qu’il faut toujours aimer la vérité, qu’il faut la rechercher, et qu’il faut avoir sans cesse de la curiosité pour elle. Si l’ou croyait qu’Aristote et Platon fussent infaillibles, il ne faudrait peut-être s’appliquer qu’à les entendre ; mais la raison ne permet pas qu’on le croie. La raison veut, au contraire, que nous les jugions plus ignorants que les nouveaux philosophes, puisque, dans le temps où nous vivons, le monde est plus vieux de deux mille ans, et qu’il a plus d’expérience que dans le temps d’Aristote et de Platon, comme on l’a déjà dit ; et que les nouveaux philosophes peuvent savoir toutes les vérités que les anciens nous ont laissées, et en trouver encore plusieurs autres. Toutefois la raison ne veut pas qu’on croie encore ces nouveaux philosophes sur leur parole plutôt que les anciens. Elle veut au contraire qu’on examine avec attention leurs pensées, et qu’on ne s’y rende que lorsqu’on ne pourra plus s’empêcher d’en douter, sans se préoccuper ridiculement de leur grande science ni des autres qualités de leur esprit.


CHAPITRE VI.
De la préoccupation des commentateurs.


Cet excès de préoccupation paraît bien plus étrange dans ceux qui commentent quelque auteur, parce que ceux qui entreprennent ce travail, qui semble de soi peu digne d’un homme d’esprit, s’imaginent que leurs auteurs méritent l’admiration de tous les hommes. Ils se regardent aussi comme ne faisant avec eux qu’une même personne ; et dans cette vue l’amour-propre joue admirablement bien son jeu. Ils donnent adroitement des louanges avec profusion à leurs auteurs, ils les environnent de clartés et de lumière, ils les comblent de gloire, sachant bien que cette gloire rejaillira sur eux-mêmes. Cette idée de grandeur n’élève pas seulement Aristote ou Platon, dans l’esprit de beaucoup de gens, elle imprime aussi du respect pour tous ceux qui les ont commentés ; et tel n’aurait pas fait l’apothéose de son auteur, s’il ne s’était imaginé comme enveloppé dans la même gloire.

Je ne prétends pas toutefois que tous les commentateurs donnent des louanges à leurs auteurs dans l’espérance du retour ; plusieurs en auraient quelque horreur s’ils y faisaient réflexion : ils les louent de bonne foi, et sans y entendre finesse ; ils n’y pensent pas. mais l’amour-propre y pense pour eux et sans qu’ils s’en aperçoi-