Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/182

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vent. Les hommes ne sentent pas la chaleur qui est dans leur cœur, quoiqu’elle donne la vie et le mouvement à toutes les autres parties de leur corps ; il faut qu’ils se touchent et qu’ils se manient pour s’en convaincre, parce que cette chaleur est naturelle. Il en est de même de la vanité, elle est si naturelle à l’homme qu’il ne la sent pas ; et quoique ce soit elle qui donne pour ainsi dire la vie et le mouvement à la plupart de ses pensées et de ses desseins, elle le fait souvent d’une manière qui lui est imperceptible. Il faut se tâter, se manier, se sonder, pour savoir qu’on est vain. On ne connaît point assez que c’est la vanité qui donne le branle à la plupart des actions ; et quoique l’amour-propre le sache, il ne le sait que pour le déguiser au reste de l’homme.

Un commentateur ayant donc quelque rapport et quelque liaison avec l’auteur qu’il commente, son amour-propre ne manque pas de lui découvrir de grands sujets de louange en cet auteur, afin d’en profiter lui-même. Et cela se fait d’une manière si adroite, si fine et si délicate qu’on ne s’en aperçoit point. Mais ce n’est pas ici le lieu de découvrir les souplesses de l’amour-propre.

Les commentateurs ne louent pas seulement leurs auteurs, parce qu’ils sont prévenus d’estime pour eux et qu’ils se font honneur à eux-mêmes en les louant ; mais encore parce que c’est la coutume et qu’il semble qu’il en faille ainsi user. Il se trouve des personnes qui, n’ayant pas beaucoup d’estime pour certaines sciences ni pour certains auteurs, ne laissent pas de commenter ces auteurs et de s’appliquer à ces sciences, parce que leur emploi, le hasard ou même leur caprice les a engagés à ce travail ; et ceux-ci se croient obligés de louer d’une manière hyperbolique les sciences et les auteurs sur lesquels ils travaillent, quand même ce seraient des auteurs impertinents, et des sciences très-basses et très-inutiles.

En effet, il serait assez ridicule qu’un homme entreprît de commenter un auteur qu’il croirait être impertinent, et qu’il s’appliquât sérieusement écrire d’une matière qu’il penserait être inutile. Il faut donc, pour conserver sa réputation, louer son auteur et le sujet de son livre, quand l’un et l’autre seraient méprisables, et que la faute qu’on a faite d’entreprendre un méchant ouvrage soit réparée par une autre faute. C’est ce qui fait que des personnes doctes, qui commentent différents auteurs, disent souvent des choses qui se contredisent.

C’est aussi pour celà que presque toutes les préfaces ne sont point conformes à la vérité ni au bon sens. Si l’on commente Aristote, c’est le génie de la nature. Si l’on écrit sur Platon, c’est le divin Platon. On ne commente guère les ouvrages des hommes tout