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X PRÉFACE

qui sont infiniment élevés au-dessus de tout ce qui nous environne, il ne faut pas que l’esprit révere aveuglément cette idée : il s’en doit rendre le juge et le maître, et la dépouiller de ce faste sensible qui étonne la raison. Il faut que l’esprit juge de toutes choses selon ses lumières intérieures, sans écouter le témoignage faux et confus de ses sens et de son imagination ; et s’il examine à la lumière pure de la vérité qui l’éclaire toutes les sciences humaines, on ne craint point d’assurer qu’il les méprisera presque toutes et qu’il aura plus d’estime pour celle qui nous apprend ce que nous sommes que pour toutes les autres ensemble.

On aime donc mieux exhorter ceux qui ont quelque amour pour la vérité à juger du sujet de cet ouvrage selon les réponses qu’ils recevront du souverain maître de tous les hommes, après qu’ils l’auront interrogé par quelques réflexions sérieuses, que de les prévenir par de grands discours qu’ils pourraient peut-être prendre pour des lieux communs ou pour de vains ornements d’une préface. Que s’ils se persuadent que ce sujet soit digne de leur application et de leur étude, on les prie de nouveau de ne point juger des choses qu’il renferme par la manière bonne ou mauvaise dont elles sont exprimées, mais de rentrer toujours dans eux-mêmes pour y entendre les décisions qu’ils doivent suivre et selon lesquelles ils doivent juger.

Étant aussi persuadés que nous le sommes que les hommes ne se peuvent enseigner les uns les autres, et que ceux qui nous écoutent n’apprennent point les vérités que nous disons à leurs oreilles, si en m me temps celui qui les a découvertes ne les manifeste aussi à leur esprit[1], nous nous trouverons encore obligés d’avertir ceux qui voudront bien lire cet ouvrage de ne point nous croire sur notre parole par inclination, ni s’opposer à ce que nous disons par aversion ; car, encore que l’on pense n’avoir rien avancé de nouveau qu’on ne l’ait appris par la méditation, on serait cependant bien fâché que les autres se contentassent de retenir et de croire nos sentiments sans les savoir, ou qu’ils tombassent dans quelque erreur, ou faute de les entendre, ou parce que nous nous serions trompés.

L’orgueil de certains savants, qui veulent qu’on les croie sur leur parole, nous paraît insupportable. Ils trouvent à redire qu’on interroge Dieu après qu’ils ont parlé, parce qu’ils ne l’interrogent point eux-mêmes. Ils s’irritent dès que l’on s’oppose à leurs sentiments, et ils veulent absolument que l’on préfère les ténèbres de leur imagination à la lumière pure de la vérité qui eclaire l’esprit.

Nous sommes, grâce à Dieu, bien éloignés de cette manière d’agir, quoique souvent on nous l’attribue. Nous ne regardons les

  1. 1. Nolite putare quemquam hominem aliquid discere ab homine ; admonere possumus per strepitum vocls nostræ ; si non sit intus qui doceat, inanis fit strepitus noster. Aug. in Joan.
    Auditus per me factus, intellectus per quem ? Dixit aliquis et ad cor vestrum, sed non cum videtis. Si intellexistis fratres, dictum est et cordi vestro. Munus Dei est intelligentia. Aug. in Joan. Tr. 40.