Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/204

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fuses des sens, lesquelles sont toujours très-fortes et très-touchantes. Ils ne traitent des matières grandes et difficiles que d’une manière vague et par lieux communs, sans se hasarder d’entrer dans le détail et sans s’attacher aux principes ; soit parce qu’ils n’entendent pas ces matières, soit parce qu’ils appréhendent de manquer de termes, de s’embarrasser, et de fatiguer l’esprit de ceux qui ne sont pas capables d’une forte attention.

Il est maintenant facile de juger par les choses que nous venons de dire, que les dérèglements d’imagination sont extrêmement contagieux, et qu’ils se glissent et se répandent dans la plupart des esprits avec beaucoup de facilité. Mais ceux qui ont l’imagination forte, étant d’ordinaire ennemis de la raison et du bon sens à cause de la petitesse de leur esprit, et des visions auxquels ils sont sujets ; on peut aussi reconnaître qu’il y a très-peu de causes plus générales de nos erreurs, que la communication contagieuse des dérèglements et des maladies de l’imagination. Mais il faut encore prouver ces vérités par des exemples et des expériences connues de tout le monde.


CHAPITRE II.
Exemples généraux de la force de l’imagination.


Il se trouve des exemples fort ordinaires de cette communication d'imagination dans les enfants à l’égard de leurs pères, et encore plus dans les filles à l’égard de leurs mères ; dans les serviteurs à l’égard de leurs maîtres, et dans les servantes à l’égard de leurs maîtresses ; dans les écoliers à l’égard de leurs précepteurs, dans les courtisans à l’égard des rois, et généralement dans tous les inférieurs à l'égard de leurs supérieurs, pourvu toutefois que les pères, les maîtres et les autres supérieurs aient quelque force d'imagination, car sans cela il pourrait arriver que des enfants et des serviteurs ne reçussent aucune impression considérable de l’imagination faible de leurs pères ou de leurs maîtres.

Il se trouve encore des effets de cette communication dans les personnes d’une condition égale ; mais cela n’est pas si ordinaire, à cause qu’il ne se rencontre pas entre elles un certain respect qui dispose les esprits à recevoir sans examen les impressions des imaginations fortes. Enfin il se trouve de ces effets dans les supérieurs à l’égard de leurs inférieurs, et ceux-ci ont quelquefois une imagination si vive et si dominante qu’ils tournent l’esprit de leurs maîtres et de leurs supérieurs comme il leur plaît.

Il ne sera pas mal aisé de comprendre comment les pères et les