Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/205

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mères font des impressions très-fortes sur l’imagination de leurs enfants, si l’on considère que ces dispositions naturelles de notre cerveau qui nous portent à imiter ceux avec qui nous vivons, et à entrer dans leurs sentiments et dans leurs passions, sont encore bien plus fortes dans les enfants à l’égard de leurs parents que dans tous les autres hommes. L’on en peut donner plusieurs raisons. La première, c’est qu’ils sont de même sang. Car de même que les parents transmettent très-souvent dans leurs enfants des dispositions à certaines maladies héréditaires, telles que la goutte, la pierre, la folie, et généralement toutes celles qui ne leur sont point survenues par accident, ou qui n’ont point pour cause seule et unique quelque fermentation extraordinaire des humeurs, comme les fièvres et quelques autres ; car il est visible que celles-ci ne se peuvent communiquer ; ainsi ils impriment les dispositions de leur cerveau dans celui de leurs enfants, et ils donnent à leur imagination un certain tour qui les rend tout à fait susceptibles des mêmes sentiments.

La seconde raison, c’est que d’ordinaire les enfants n’ont que très-peu de commerce avec le reste des hommes qui pourraient quelquefois tracer d’autres vestiges dans leur cerveau, et rompre en quelque façon l’effort continuel de l’impression paternelle. Car de même qu’un homme qui n’est jamais sorti de son pays s’imagine ordinairement que les mœurs et les coutumes des étrangers sont tout à fait contraires à la raison parce qu’elles sont contraires à la coutume de sa ville, au torrent de laquelle il se laisse emporter ; ainsi un enfant qui n’est jamais sorti de la maison paternelle, s’imagine que les sentiments et les manières de ses parents sont la raison universelle : ou plutôt il ne pense pas qu’il puisse y avoir quelque autre principe de raison ou de vertu que leur imitation. Il croit donc tout ce qu’il leur entend dire, et il fait tout ce qu’il leur voit faire.

Mais cette impression des parents est si forte, qu’elle n’agit pas seulement sur l’imagination des enfants, elle agit même sur les autres parties de leur corps. Un jeune garçon marche, parle, et fait les mêmes gestes que son père. Une fille de même s’habille comme sa mère, marche comme elle, parle comme elle ; si la mère grasseye, la fille grasseye ; si la mère a quelque tour de tête irrégulier, la fille le prend. Enfin, les enfants imitent les parents en toute chose, jusque dans leurs défauts et dans leurs grimaces, aussi bien que dans leurs erreurs et dans leurs vices.

Il y a encore plusieurs autres causes qui augmentent l’effet de cette impression. Les principales sont l’autorité des parents, la dé-