Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/220

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vive de l’expression, qui dépendent de la force de l’imagination.

Je sais bien que cet auteur a beaucoup d’estime dans le monde, et qu’on prendra pour une espèce de témérité de ce que j’en parle comme d’un homme fort imaginatif et peu judicieux. Mais c’est principalement à cause de cette estime que j’ai entrepris d’en parler, non par une espèce d’envie ou par humeur, mais parce que l’estime qu’on fait de lui touchera davantage les esprits et leur fera faire attention aux erreurs que j’ai combattues. Il faut autant qu’on peut apporter des exemples illustres des choses qu’on dit lorsqu’elles sont de conséquence, et c’est quelquefois faire honneur à un livre que de le critiquer. Mais enfin je ne suis pas le seul qui trouve à redire dans les écrits de Sénèque ; car, sans parler de quelques illustres de ce siècle, il y a près de seize cents ans qu’un auteur très-judicieux a remarqué qu’il y avait peu d’exactitude dans sa philosophie[1], peu de discernement et de justesse dans son élocution[2], et que sa réputation était plutôt l’effet d’une ferveur et d’une inclination indiscrète de jeunes gens que d’un consentement de personnes savantes et bien sensées[3].

Il est inutile de combattre par des écrits publics des erreurs grossières, parce qu’elles ne sont point contagieuse. Il est ridicule d’avertir les hommes que les hypocondriaques se trompent, ils le savent assez. Mais si ceux dont ils font beaucoup d’estime se trompent, il est toujours utile de les en avertir, de peur qu’ils ne suivent leurs erreurs. Or il est visible que l’esprit de Sénèque est un esprit d’orgueil et de vanité, Ainsi, puisque l’orgueil, selon l’Écriture, est la source du péché, Inítium peccati superbia, l’esprit de Sénèque ne peut être l’esprit de l’Évangile, ni sa morale s’allier avec la morale de Jésus-Christ, laquelle seule est solide et véritable.

Il est vrai que toutes les pensées de Sénèque ne sont pas fausses ni dangereuses. Cet auteur se peut lire avec profit par ceux qui ont l’esprit juste et qui savent le fond de la morale chrétienne. De grands hommes s’en sont servis utilement, et je n’ai garde de condamner ceux qui, pour s’accommoder à la faiblesse des autres hommes qui avaient trop d’estime pour lui, ont tiré des ouvrages de cet auteur des preuves pour défendre la morale de Jésus-Christ, et pour combattre ainsi les ennemis de l’Évangile par leurs propres armes.

Il y a de bonnes choses dans l’Alcoran, et l’on trouve des prophéties véritables dans les Centuries de Nostradamus ; on se sert

  1. In Philosophie parum diligens.
  2. Velles eum suo ingenio dixisse alieno judicio.
  3. Si aliqua contempsisset. etc, consensu potius erurditorum quam puerorum amore comprobaretur. Quintilien, l. 10, ch. I.