Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce goût. que nous trouvons dans la délicatesse des discours efféminés n’a point d’autre source qu’une secrète inclination pour la mollesse et pour la volupté ; en un mot, que c’est une certaine intelligence pour ce qui touche les sens, et non pas l’intelligence de la vérité, qui fait que certains auteurs nous charment et nous enlèvent comme malgré nous. Mais revenons à Montaigne.

Il me semble que ses plus grands admirateurs le louent d’un certain caractère d’auteur judicieux et éloigné du pédantisme, et d’avoir parfaitement connu la nature et les faiblesses de l’esprit humain. Si je montre donc que Montaigne, tout cavalier qu’il est, ne laisse pas d’être aussi pédant que beaucoup d’autres, et qu’il n’a eu qu’une connaissance très-médiocre de l’esprit, j’aurai fait voir que ceux qui l’admirent le plus n’auront point été persuadés par des raisons évidentes, mais qu’ils auront été seulement gagnés par la force de son imagination.

Ce terme pédant est fort équivoque, mais l’usage, ce me semble, et même la raison veulent que l’on appelle pédants ceux qui pour faire parade de leur fausse science citent à tort et à travers toutes sortes d’auteurs, qui parlent simplement pour parler et pour se faire admirer des sots, qui amassent sans jugement et sans discernement des apophthogmes et des traits d’histoire pour prouver ou pour faire semblant de prouver des choses qui ne se peuvent prouver que par des raisons.

Pédant est opposé à raisonnable, et ce qui rend les pédants odieux aux personnes d’esprit c’est que les pédants ne sont pas raisonnables ; car, les personnes d’esprit aimant naturellement à raisonner, ils ne peuvent souffrir la conversation de ceux qui ne raisonnent point. Les pédants ne peuvent pas raisonner parce qu’ils ont l’esprit petit ou d’ailleurs rempli d’une fausse érudition ; et ils ne veulent pas raisonner, parce qu’ils voient que certaines gens les respectent et les admirent davantage lorsqu’ils citent quelque auteur inconnu et quelque sentence d’un ancien que lorsqu’ils prétendent raisonner. Ainsi leur vanité se satisfaisant dans la vue du respect qu’on leur porte, les attache à l’étude de toutes les sciences extraordinaires qui attirent l’admiration du commun des hommes.

Les pédants sont donc vains et fiers, de grande mémoire et de peu de jugement, heureux et forts en citations, malheureux et faibles en raisons, d’une imagination vigoureuse et spacieuse, mais volage et déréglée, et qui ne peut se contenir dans quelque justesse.

Il ne sera pas maintenant fort difficile de prouver que Montaigne