Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/232

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sommeil, comme présents tous les mouvements de la cérémonie dont il leur avait fait la description. Ils se lèvent, ils s’entre-demandent et s’entre-disent ce qu’ils ont vu. Ils se fortifient de cette sorte les traces de leur vision ; et celui qui a l’imagination la plus forte persuadant mieux les autres, ne manque pas de régler en peu de nuits l’histoire imaginaire du sabbat. Voilà donc des sorciers achevés que le pâtre a faits ; et ils en feront un jour beaucoup d’autres, si, ayant l’imagination forte et vive, la crainte ne les empêche pas de conter de pareilles histoires.

Il s’est trouvé plusieurs fois des sorciers de bonne foi, qui disaient généralement à tout le monde, qu’ils allaient au sabbat ; et qui en étaient si persuadés, que quoique plusieurs personnes les veillassent et les assurassent qu’ils n’étaient point sortis du lit, ils ne pouvaient se rendre à leur témoignage.

Tout le monde sait que lorsque l’on fait des contes d’apparitions d’esprits aux enfants, ils ne manquent presque jamais d’en être effrayés, et qu’ils ne peuvent demeurer sans lumière et sans compagnie ; parce qu’alors leur cerveau ne recevant point de traces de quelque objet présent, celle que le coute a formée dans leur cerveau se rouvre, et souvent même avec assez de force pour leur représenter comme devant leurs yeux les esprits qu’on leur a dépeints. Cependant on ne leur conte pas ces histoires comme si elles étaient véritables. On ne leur parle pas avec le même air que si on en était persuadé ; et quelquefois on le fait d’une manière assez froide et assez languissante. Il ne faut donc pas s’étonner qu’un homme qui croit avoir été au sabbat, et qui par conséquent en parle d’un ton ferme et avec une contenance assurée, persuade facilement quelques personnes qui l’écoutent avec respect, de toutes les circonstances qu’il décrit, et transmette ainsi dans leur imagination des traces pareilles à celles qui le trompent.

Quand les hommes nous parlent, ils gravent dans notre cerveau des traces pareilles à celles qu’ils ont. Lorsqu’ils en ont de profondes, ils nous parlent d’une manière qui nous en gravent de profondes ; car ils ne peuvent parler, qu’ils ne nous rendent semblables à eux en quelque façon. Les enfants dans le sein de leurs mères ne voient que ce que voient leurs mères ; et même lorsqu’ils sont venus au monde, ils imaginant peu de choses dont leurs parents n’en soient la cause : puisque les hommes même les plus sages se conduisent plutót par l’imagination des autres, c’est-à-dire par l’opinion et par la coutume, que par les règles de la raison. Ainsi dans les lieux où l’on brûle les sorciers, on en trouve un grand nombre ; parce que, dans les lieux où on les condamne au feu, on croit véri-