Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/231

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conter ces histoires surprenantes et prodigieuses de la puissance et de la malice des sorciers, à épouvanter les autres et à s’épouvanter eux-mêmes. Ainsi il ne faut pas s’étonner si les sorciers sont sí communs en certains pays, où la créance du sabbat est trop enracinée ; où tous les contes les plus extravagants des sortilèges, sont ecoutés connue des histoires authentiques ; et où l’on brûle comme des sorciers véritables les fous et les visionnaires dont l’imagination a été déréglée, autant pour le moins par le récit de ces contes, que par la corruption de leur cœur.

Je sais bien que quelques personnes trouveront à redire, que j’attribue la plupart des sorcelleries à la force de l’imagination, parce que je sais que les hommes aiment qu’on leur donne de la crainte ; qu’ils se fâchent contre ceux qui les veulent désabuser ; et qu’ils ressemblent aux malades par imagination, qui écoutent avec respect et qui exécutent fidèlement les ordonnances des médecins qui leur pronostiquent des accidents funestes. Les superstitions ne se détruisent pas facilement, et on ne les attaque pas sans trouver un grand nombre de défenseurs ; et cette inclination à croire aveuglément toutes les rêveries des démonographes est produite et entretenue par la même cause qui rend opiniâtres les superstitieux. comme il est assez facile de le prouver. Toutefois cela ne doit pas m'empêcher de décrire en peu de mots, comme je crois que de pareilles opinions s’établissent.

Un pâtre dans sa bergerie raconte après souper à sa femme et à ses enfants les aventures du sabbat. Comme son imagination est modérément échauffée par les vapeurs du vin, et qu’il croit avoir assiste plusieurs fois à cette assemblée imaginaire, il ne manque pas d’en parler d’une manière forte et vive. Son éloquence naturelle jointe à la disposition où est toute sa famille, pour entendre parler d’un sujet si nouveau et si terrible, doit sans doute produire d’étranges traces dans des imaginations faibles, et il n’est pas naturellement possible qu’une femme et des enfants ne demeurent tout effrayés, pénétrés et convaincus de ce qu’ils lui entendent dire. C’est un mari, c’est un père qui parle de ce qu’il a vu, de ce qu’il a fait : on l'aime et on le respecte ; pourquoi ne le croirait-on pas ? Ce pâtre le répéte en différents jours. L'imagination de la mère et des enfants en reçoit peu à peu des traces plus profondes ; ils s’y accoutument, les frayeurs passent, et la conviction demeure ; et enfin la curiosité les prend d’y aller. Ils se frottent de certaine drogue dans ce dessein, ils se couchent : cette disposition de leur cœur échauffe encore leur imagination, et les traces que le pâtre avait formées dans leur cerveau s’ouvrent assez pour leur faire juger, dans le