Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/235

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Il avait régné jusqu’a la venue du Sauveur, et il règne même encore, si on le veut, dans les lieux où le Sauveur n'est point. connu ; mais il n’a plus aucun droit ni aucun pouvoir sur ceux qui sont régénérés en Jésus-Christ : il ne peut même les tenter, si Dieu ne le permet ; et si Dieu le permet, c’est qu’ils peuvent le vaincre. C’est donc faire trop d’honneur au diable que de rapporter des histoires comme des marques de sa puissance, ainsi que font quelques nouveaux démonographes, puisque ces histoires le rendent redoutable aux esprits faibles.

Il faut mépriser les démons comme on méprise les bourreaux ; car c’est devant Dieu seul qu’il faut trembler. C’est sa seule puissance qu’il faut craindre. Il faut appréhender ses jugements et sa colère, et ne pas l’irriter par le mépris de ses lois et de son Évangile. On doit être dans le respect lorsqu’il parle ou lorsque les hommes nous parlent de lui. Mais quand les hommes nous parlent de la puissance du démon, c’est une faiblesse ridicule de s’effrayer et de se troubler. Notre trouble fait honneur à notre ennemi. Il aime qu’on le respecte et qu’on le craigne, et son orgueil se satisfait lorsque notre esprit s’abat devant lui.

II. Il est temps de finir ce second livre et de faire remarquer, par les choses que l’on a dites dans ce livre et dans le précédent, que toutes les pensées qu’a l’âme par le corps, ou par dépendance du corps, sont toutes pour le corps ; qu’elles sont toutes fausses ou obscures ; qu’elles ne servent qu’à nous unir aux biens sensibles et à tout ce qui peut nous les procurer ; et que cette union nous engage dans des erreurs infinies et dans de très-grandes misères, quoique nous ne sentions pas toujours ces misères, de même que nous ne connaissons pas les erreurs qui les ont causées. Voici l’exemple le plus remarquable.

L’union que nous avons eue avec nos mères dans leur sein, laquelle est la plus étroite que nous puissions avoir avec les hommes, nous a causé les plus grands maux, savoir, le péché et la concupiscence, qui sont l’origine de toutes nos misères. Il fallait néanmoins, pour la conformation de notre corps, que cette union fût aussi étroite qu'elle a été.

À cette union qui a été rompue par notre naissance, une autre a succédé, par laquelle les enfants tiennent à leurs parents et à leurs nourrices. Cette seconde union n’a pas été si étroite que la première, aussi nous a-t-elle fait moins de mal ; elle nous a seulement portés à croire et à vouloir imiter nos parents et nos nourrices en toutes choses. Il est visible que cette seconde union nous était encore nécessaire, non comme la première, pour la conforma-