Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/245

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Combien y a-t-il de gens qui veulent comprendre la divisibilité de la matière à l’infini, et comment il se peut faire qu’un petit grain de sable contienne autant de parties que toute la terre, quoique plus petites à proportion ! Combien forme-t-on de questions qui ne se résoudront jamais sur ce sujet et sur beaucoup d’autres qui renferment quelque chose d’infini, desquelles on veut trouver la solution dans son esprit ! On s’y applique, on s’y échauffe. mais enfin tout ce que l’on y gagne c’est que l’on s’entête de quelque extravagance et de quelque erreur.

N’est-ce pas une chose plaisante de voir des gens qui nient la divisibilité de la matière à l'ínfini pour cela seul qu’ils ne la peuvent comprendre, quoiqu’ils comprennent fort bien les démonstrations qui la prouvent, et cela dans le même temps qu’ils confessent de bouche que l’esprit de l’homme ne peut connaître l’infini ? Car les preuves qui montrent que la matière est divisible à l’infini sont démonstratives s’il en fut jamais, ils en conviennent quand ils les considèrent avec attention ; néanmoins, si on leur fait des objections qu’ils ne puissent résoudre, leur esprit se détournant de l’évidence qu’ils viennent d’apercevoir, ils commencent d’en douter. Ils s’occupent fortement de l'objection qu’ils ne peuvent résoudre, ils inventent quelque distinction frivole contre les démonstrations de la divisibilité à l’infini, et ils conclu eut enfin qu’ils s’y étaient trompés et que tout le monde s’y trompe. Ils embrassent ensuite l’opinion contraire ; ils la défendent par des points enflés et par d’autres extravagances que l’imagination ne manque jamais de fournir. Or ils ne tombent dans ces égarements que parce qu’ils ne sont pas intérieurement convaincus que l’esprit de l’homme est fini, et que pour être persuadé de la divisibilité de la matière à l’infini il n’est pas nécessaire qu’il la comprenne, parce que toutes les objections qu’on ne peut résoudre qu’en la comprenant sont des objections qu’il est impossible de résoudre.

Si les hommes ne s’arrêtaient-qu’à de pareilles questions, on n’aurait pas sujet de s’en mettre beaucoup en peine ; parce que s’il y en a quelques-uns qui se préoccupent de quelques erreurs, ce sont des erreurs de peu de conséquence. Pour les autres, ils n’ont pas tout à fait perdu leur temps en pensant à des choses qu’ils n’ont pu comprendre ; car ils se sont au moins convaincus de la faiblesse de leur esprit. Il est bon, ditun auteur fort judicieux[1], de fatiguer l’esprit à ces sortes de subtilités, afin de dompter sa présomption et lui ôter la hardiesse d’opposer jamais ses faibles lumières aux vérités que l’Église lui propose sous prétexte qu’il ne les peut pas

  1. L’Art de penser.