Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/246

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comprendre. Car puisque toute la vigueur de l’esprit des hommes est contrainte de succomber au plus petit atome de la matière et d’avouer qu’il voit clairement qu’il est infiniment divisible sans pouvoir comprendre comment cela se peut faire ; n’est-ce pas pêcher visiblement contre la raison que de refuser de croire les effets merveilleux de la toute-puissance de Dieu, qui est d’elle même incompréhensible, par cette raison que notre esprit ne les peut comprendre ?

III. L’effet donc le plus dangereux que produit l’ignorance ou plutôt l’ínadvertance où l’on est de la l’imitation et de la faiblesse de l’esprit de l’homme, et par conséquent de son incapacité pour comprendre tout ce qui tient quelque chose de l’infini, c’est l’hérésie. Il se trouve, ce me semble, en ce temps-ci plus qu’en aucun autre, un fort grand nombre de gens qui se font une théologie particulière qui n’est fondée que sur leur propre esprit et sur la faiblesse naturelle de la raison, parce que dans les sujets mêmes qui ne sont point soumis à la raison ils ne veulent croire que ce qu’ils comprennent.

Les sociniens ne peuvent comprendre les mystères de la Trinité ni de l’incarnation : cela leur suffit pour ne les pas croire et même pour dire, d’un air fier et libertin, de ceux qui les croient que ce sont des gens nés pour l’esclavage. Un calviniste ne peut concevoir comment il se peut faire que le corps de Jésus-Christ soit réellement présent au sacrement de l’autel dans le même temps qu’il est dans le ciel, et de là il croit avoir raison de conclure que cela ne se peut faire, comme s’il comprenait parfaitement jusqu’où peut aller la puissance de Dieu.

Un homme qui est même convaincu qu’il est libre, s’il s’échauffe fort la tête pour tâcher d’accorder la science de Dieu et ses décrets avec la liberté, il sera peut-être capable de tomber dans l’erreur de ceux qui ne croient point que les hommes soient libres. Car d’un côté ne pouvant concevoir que la providence de Dieu puisse subsister avec la liberté de l’homme, et de l’autre le respect qu’il aura pour la religion l’empêchant de nier la Providence, il se croira contraint d’ôter la liberté aux hommes ; ne faisant pas assez de réflexion sur la faiblesse de son esprit, il s’imaginera pouvoir pénétrer les moyens que Dieu a pour accorder ses décrets avec notre liberté.

Mais les hérétiques ne sont pas les seuls qui manquent d’attention pour considérer la faiblesse de leur esprit et qui lui donnent trop de liberté pour juger des choses qui ne lui sont pas soumises ; presque tous les hommes ont ce défaut, et principalement quelques