Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/248

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vérités dont on veut les instruire ne sont pas soumises à la raison. Il n’est pas même toujours à propos de se servir de ces raisonnements dans des vérités qui peuvent être prouvées par la raison aussi bien que par la tradition, comme l’immortalité de l’âme, le péché originel, la nécessité de la grâce, le désordre de la nature, et quelques autres, de peur que leur esprit, ayant une fois goûté I’évidence des raisons dans ces questions, ne veuille point se soumettre à celles qui ne se peuvent prouver que par la tradition. Il faut, au contraire, les obliger à se défier de leur esprit propre en leur faisant sentir sa faiblesse, sa l’imitation et sa disproportion avec nos mystères ; et quand l’orgueil, de leur esprit sera abattu, alors il sera facile, de les faire entrer dans les sentiments de l’Église en leur représentant que l’iut’aillibilité est renfermée dans l’idée de toute société divine, et en leur expliquant la tradition de tous les siècles s’ils en sont capables[1].

Mais si les hommes détournent continuellement leur vue de dessus la faiblesse et la l’imitation de leur esprit, une présomption indiscrète leur enflera le courage, une lumière trompeuse les éblouira, l’amour de la gloire les aveuglera. Ainsi les hérétiques seront éternellement hérétiques ; les philosophes, opiniâtres et entêtés, et l’on ne cessera jamais de disputer sur toutes les choses, dont on disputera, tant qu’on en voudra disputer.


CHAPITRE III.


I. Les philosophes se dissipeut l’esprit en s’appliquant à des sujets qui renferment trop de rapports et qui dépendent de trop de choses, sans garder aucun ordre dans leurs études. — II. Exemple tiré d’Aristote. — III. Que les géomètres au contraire se conduisent bien dans la recherche de la vérité, principalement ceux qui se servent de l’algèbre et de l’analyse. — IV. Que leur méthode augmente la force de l’esprit, et que la logique d’Aristote la diminue. — V. Autre défaut des personnes d’étude.


I. Les hommes ne tombent pas seulement dans un fort grand nombre d’erreurs parce qu’ils s’occupent à des questions qui tiennent de l’infini, leur esprit n’étant pas infini ; mais aussi parce qu’ils s’appliquent à celles qui ont beaucoup d’étendue, leur esprit en ayant fort peu.

Nous avons déjà dit que de même qu’un morceau de cire n’est pas capable de recevoir en même temps plusieurs figures parfaites et bien distinctes, ainsi l’esprit n’était pas capable de recevoir plusieurs idées distinctes, c’est-à-dire d’apercevoir plusieurs choses bien distinctement dans le même temps. De la il est facile

  1. Voyez les Entretiens sur la Méth. et sur la Religion.