Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/249

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de conclure qu’il ne faut pas s’appliquer d’abord à la recherche des vérités cachées, dont la connaissance dépend de trop de choses, et dont il y en a quelques-unes qui ne nous sont pas connues ou qui ne nous sont pas assez familières ; car il faut étudier avec ordre, et se servir de ce qu’on sait distinctement pour apprendre ce qu’on ne sait pas ou ce qu’on ne sait que confusément. Cependant, la plupart de ceux qui se mettent à l’étude n’y font point tant de façon ; ils ne font point essai de leurs forces ; ils ne consultent point avec eux-mêmes jusqu’où peut aller la portée de leur esprit. C’est une secrète vanité et un désir déréglé de savoir et non pas la raison qui règle leurs études. Ils entreprennent sans la consulter de pénétrer les vérités les plus cachées et les plus impénétrables, et de résoudre des questions qui dépendent d’un si grand nombre de rapports que l’esprit le plus vif et le plus pénétrant ne pourrait en découvrir la vérité avec une entière certitude qu’après plusieurs siècles et un nombre presque infini d’expériences.

Il y a dans la médecine et dans la morale un très-grand nombre de questions de cette nature. Toutes les sciences qui regardent le détail des corps et de leurs qualités particulières, comme des animaux, des plantes, des métaux et de leurs qualités propres, sont de ces sciences qui ne peuvent jamais être assez évidentes ni assez certaines, principalement si on ne les cultive d’une autre manière qu’on a fait et si on ne commence par les sciences les plus simples et les moins composées dont elles dépendent. Mais les personnes d’ètude ne veulent pas se donner la peine de philosopher par ordre ; ils ne conviennent point de la certitude des principes de physique ; ils ne connaissent point la nature des corps en général ni de leurs qualités ; ils en tombent d’accord eux-mêmes. Cependant ils s’imaginent pouvoir rendre raison pourquoi, par exemple, les cheveux des vieillards blanchissent et que leurs dents deviennent noires, et de semblables questions qui dépendent de tant de causes qu’il n’est pas possible d’en donner jamais de raison assurée ; car il est nécessaire pour cela de savoir au vrai en quoi consiste la blancheur des cheveux en particulier, les humeurs dont ils sont nourris, les filtres qui sont dans le corps pour laisser passer ces humeurs, la conformation de la racine des cheveux ou de la peau où elles passent et la différence de toutes ces choses dans un jeune homme et dans un vieillard, ce qui est absolument impossible ou du moins très-difficile à connaître.

II. Aristote, par exemple, a prétendu ne pas ignorer la cause de cette blancheur qui arrive aux cheveux des vieillards ; il en a donné plusieurs raisons en différents endroits de ses livres. Mais