Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/262

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J’expliquerai dans le chapitre septième le sentiment que j’ai sur la manière dont nous connaissons les esprits, et je ferai voir qu’à présent nous ne pouvons les connaître entièrement par eux-mêmes quoiqu’ils puissent peut-être s’unir à nous. Mais je parle principalement ici des choses matérielles, qui certainement ne peuvent s’unir à notre âme de la façon qui lui est nécessaire afin qu’elle les aperçoive ; parce qu’étant étendues, et l’âme ne l’étant pas, il n’y a point de rapports entre elles. Outre que nos âmes ne sortent point du corps pour mesurer la grandeur des cieux, et par conséquent elles ne peuvent voir les corps de dehors que par des idées qui les représentent. C’est de quoi tout le monde doit tomber d’accord.

II. Nous assurons donc qu’il est absolument nécessaire que les idées que nous avons des corps et de tous les autres objets que nous n’apercevons point par eux-mêmes, viennent de ces mêmes corps ou de ces objets ; ou bien que notre âme ait la puissance de produire ces idées, ou que Dieu les ait produites avec elle en la créant, ou qu’il les produise toutes les fois qu’on pense à quelque objet, ou que l’âme ait en elle-même toutes les perfections qu’elle voit dans ces corps, ou enfin qu’elle soit unie avec un être tout parfait, et qui renferme généralement toutes les perfections intelligibles ou toutes les idées des êtres créés.

Nous ne saurions voir les objets que de l’une de ces manières. Examinons quelle est celle qui paraît la plus vraisemblable de toutes sans préoccupation, et sans nous effrayer de la difficulté de cette question. Peut-être que nous la résoudrons assez clairement, quoique nous ne prétendions pas donner ici des démonstrations incontestables pour toutes sortes de personnes ; mais seulement des preuves très-convaincantes pour ceux au moins qui les méditeront avec une attention sérieuse ; car on passerait peut-être pour téméraire si l’on parlait autrement.


CHAPITRE II.


Que les objets matériels n’envoient point d’espèces qui leur ressemblent.


La plus commune opinion est celle des péripatéticiens, qui prétendent que les objets de dehors envoient des espèces qui leur ressemblent, et que ces espèces sont portées par les sens extérieurs jusqu’au sens commun ; il appellent ces espèces-là impresses, parce que les objets les impriment dans les sens extérieurs. Ces espèces impresses étant matérielles et sensibles, sont rendues intelligibles par l’intellect agent ou agissant, et sont propres pour être reçues