Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/263

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dans l’intellect patient. Ces espèces ainsi spiritualisées sont appelées espèces expresses, parce qu’elles sont exprimées des impresses ; et c’est par elles que l’intellect patient connaît toutes les choses matérielles.

On ne s’arrête pas à expliquer plus au long ces belles choses et les diverses manières dont différents philosophes les conçoivent, car, quoiqu’ils ne conviennent pas dans le nombre des facultés qu’ils attribuent au sens intérieur et à l’entendement, et même qu’il y en ait beaucoup qui doutent fort qu’ils aient besoin d’un intellect agent pour connaître les objets sensibles ; cependant ils conviennent presque tous que les objets de dehors envoient des espèces ou des images qui leur ressemblent, et ce n’est que sur ce fondement qu’ils multiplient leurs facultés et qu’ils défendent leur intellect agent. De sorte que ce fondement n’ayant aucune solidité, comme on le va faire voir, il n’est pas nécessaire de s’arrêter davantage à renverser tout ce qu’on a bâti dessus.

On assure donc qu’il n’est pas vraisemblable que les objets envoient des images ou des espèces qui leur ressemblent ; de quoi voici quelques raisons. La première se tire de l’impénétrabilité des corps. Tous les objets comme le soleil, les étoiles et tous ceux qui sont proches de nos yeux, ne peuvent pas envoyer des espèces qui soient d’autre nature qu’eux ; c’est pourquoi les philosophes disent ordinairement que ces espèces sont grossières et matérielles, à la différenee des espèces expresses, qui sont spiritualisées. Ces espèces impresses des objets sont donc de petits corps : elles ne peuvent donc pas se pénétrer, ni tous les espaces qui sont depuis la terre jusqu’au ciel, lesquels en doivent être tous remplis. D’où il est facile de conclure qu’eiles devraient se froisser et se briser, les unes allant d’un côté et les autres de l’autre, et qu’ainsi elles ne peuvent rendre les objets visibles.

De plus, on peut voir d’un même endroit ou d’un même point un très-grand nombre d’objets qui sont dans le ciel et sur la terre, donc il faudrait que les espèces de tous ces corps se pussent réduire en un point. Or elles sont impénétrables, puisqu’elles sont étendues : donc, etc.

Mais non-seulement on peut voir d’un même point un très-grand nombre de très-grands et de très-vastes objets ; il n’y a même aucun point dans tous ces grands espaces du monde d’où on ne puisse découvrir un nombre presque infini d’objets, et même d’objets aussi grands que le soleil, la lune et les cieux. Il n’y a donc aucun point[1]

  1. Si l’on veut savoir comment toutes ces impressions des objets visibles, quelque opposées, se peuvent communiquer sans s’affaiblir, on peut lire la Dioptrique de