Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/264

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dans tout le monde où les espèces de toutes ces choses ne se dussent rencontrer ; ce qui est contre toute apparence de vérité.

La seconde raison se prend du changement qui arrive dans les espèces. Il est constant que plus un objet est proche, plus l’espèce en doit être grande, puisque nous voyons l’objet plus grand. Or, on ne voit pas ce qui peut faire que cette espèce diminue et ce que peuvent devenir les parties qui la composaient lorsqu’elle était plus grande. Mais ce qui est encore plus difficile à concevoir selon leur sentiment, c’est que si on regarde cet objet avec des lunettes d’approche ou un microscope, l’espèce devient tout d’un coup cinq ou six cents fois plus grande qu’elle n’était auparavant ; car on voit encore moins de quelles parties elle peut s’accroître si fort en un instant.

La troisième raison, c’est que quand on regarde un cube parfait, toutes les espèces de ses côtés sont inégales, et néanmoins on ne laisse pas de voir tous ses côtés également carrés. Et de même lorsque l’on considère dans un tableau des ovales et des parallèlogrammes qui ne peuvent envoyer que des espèces de semblable figure, on n’y voit cependant que des cercles et des carrés. Cela fait manifestement voir qu’il n’est pas nécessaire que l’objet que l’on regarde produise, afin qu’on le voie, des espèces qui lui soient semblables.

Enfin on ne peut pas concevoir comment il se peut faire qu’un rorps qui ne diminue point sensiblement envoie toujours hors de soi des espèces de tous côtés, qu’il en remplisse continuellement de fort grands espaces tout à l’entour, et cela avec une vitesse inconcevable ; car un objet étant caché. dans l’instant qu’il se découvre on le peut voir de plusieurs millions de lieues et de tous les côtés. Et ce qui paraît encore fort étrange, c’est que les corps qui ont beaucoup d’action, comme l’air et quelques autres, n’ont point la force de pousser au dehors de ces images qui leur ressemblent ; ce que font les corps les plus grossiers et qui ont le moins d’action, comme la terre, les pierres et presque tous les corps durs.

Mais on ne veut pas s’arrêter davantage à rapporter toutes les raisons contraires à cette opinion, parce que ce ne serait jamais fait, le moindre effort d’esprit en fournissant un si grand nombre qu’on ne le peut épuiser. Celles que nous venons de rapporter sont suffisantes, et elles n’étaient pas même nécessaires après ce qu’on a dit qui regarde ce sujet dans le premier livre, lorsqu’on a expliqué les erreurs des sens. Mais il y a un si grand nombre de philo-

    M. Descartes, et l’Éclaírcissement sur le quatrième ch. de la deuxième part. du sixiême liv., qui traite de la lumière et des couleurs. Ou le trouvera à la fin de ce liv.