Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/267

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puissance pour anéantir et pour créer les idées des choses, avec tout cela il ne s’en servirait jamais pour les produire car de même qu’un peintre. quelque habile qu’íl soit dans son art, ne peut pas représenter un animal qu’il n’aura jamais vu et duquel il n’aura aucune idée, de sorte que le tableau qu’on l’obligerait d’en faire ne peut pas être semblable à cet animal inconnu ; ainsi un homme ne peut pas former l’idée d’un objet s’il ne le connaît auparavant, c’est-à-dire s’il n’en a déjà l’idée, laquelle ne dépend point de sa volonté. Que s’il en a déjà une idée, il connaît cet objet, et il lui est inutile d’en former une nouvelle. il est donc inutile d’attribuerà l’esprit de l’homme la puissance de produire ses idées.

On pourrait peut-être dire que l’esprit a des idées générales et confuses qu’il ne produit pas, et que celles qu’il produit sont particulières, plus nettes et plus distinctes ; mais c’est toujours la même chose. Car de même qu’un peintre ne peut pas tirer le portrait d’un homme particulier, de sorte qu’il soit assuré d’y avoir réussi, s’il n’en à une idée distincte et même si la personne n’est présente, ainsi l’esprit qui n’aura, par exemple, que l’idée de l’être ou de l’animal en général, ne pourra pas se représenter un cheval, ni en former une idée bien distincte, et être assuré qu’elle est parfaitement semblable à un cheval, s’il n’a déjà une première idée avec laquelle il confère cette seconde : or s’il en à une première il est inutile d’en former une seconde, et la question regarde cette première. Donc, etc.

Il est vrai 1° que quand nous concevons un carré par pure intellection, nous pouvons encore l’imaginer, c’est-à-dire l’apercevoir en nous en traçant une image dans le cerveau. Mais il faut remarquer premièrement que nous ne sommes point la véritable ni la principale cause de cette image, mais il serait trop long de l’expliquer. 2° Que tant s’en faut que la seconde idée qui accompagne cette image soit plus distincte et plus juste que l’autre ; qu’au contraire elle n’est juste que parce qu’elle ressemble à la première, qui sert de règle pour la seconde. Car enfin il ne faut pas croire que l’imagination et les sens mêmes nous représentent les objets plus distinctement que l’entendement pur, mais seulement qu’ils touchent et qu’ils appliquent davantage l’esprit. Car les idées des sens et de l’imagination ne sont distinctes que par la conformité qu’elles ont avec les idées de la pure intellection[1]. L’image d’un carré, par exemple, que l’imagination trace dans le cerveau, n’est juste et bien faite que par la conformité qu’elle a avec l’idée d’un carré

  1. Tanto meliora esse judico quae oculis cerno, quanto pro sui natura vlciniora sunt tis quæ animo intelligo. Aug.