Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/268

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que nous concevons par pure intellection[1]. C’est cette idée qui règle cette image. C’est l’esprit qui conduit l’imagination et qui l’oblige pour ainsi dire de regarder de temps en temps si l'image qù’elle peint est une figure de quatre lignes droites et égales dont les angles sont exactement droits, en un mot si ce qu’on imagine est semblable à ce qu’on conçoit.

Après ce que l’on a dit, je ne crois pas qu’on puisse douter que ceux qui assurent que l’esprit peut se former les idées des objets ne se trompent ; puisqu’ils attribuent à l’esprit la puissance de créer et même de créer avec sagesse et avec ordre, quoiqu’il n’ait aucune connaissance de ce qu’il fait : car cela n’est pas concevable. Mais la cause de leur erreur est que les hommes ne manquent jamais de juger qu’une chose est cause de quelque effet quand l’un et l’autre sont joints ensemble, supposé que la véritable cause de cet effet leur soit inconnue. C’est pour cela que tout le monde conclut qu’une boule agitée qui en rencontre une autre est la véritable et la principale cause de l’agitation qu’elle lui communique, que la volonté de l’âme est la véritable, et la principale cause du mouvement du bras et d’autres préjugés semblables ; parce qu’il arrive toujours qu'une boule est agitée quand elle est rencontrée par une autre qui la choque, que nos bras sont remués presque toutes les fois que nous le voulons, et que nous ne voyons point sensiblement quelle autre chose pourrait être la cause de ces mouvements.

Mais lorsqu’un effet ne suit pas si souvent de quelque chose qui n’en est pas la cause, il ne laisse pas d’y avoir toujours un fort grand nombre de personnes qui croient que cette chose est la cause de l’effet qui arrive ; mais tout le monde ne tombe pas dans cette erreur. Il paraît, par exemple, une comète, et après cette comète un prince meurt ; des pierres sont exposées à la lune et elles sont mangées des vers ; le soleil est joint avec mars dans la nativité d’un enfant, et il arrive que cet enfant a quelque chose d’extraordinaire ; cela suffit à beaucoup de gens pour se persuader que la comète, la lune, la conjonction du soleil avec mars sont les causes des effets que l’on vient de marquer et d’autres mêmes qui leur ressemblent, et la raison pour laquelle tout le monde ne le croit pas, c’est qu’on ne voit pas à tous moments que ces effets suivent ces choses.

Mais tous les hommes ayant d’ordinaire les idées des objets pré-

  1. Quis bene se inspiciens non expertus est tanto se aliquid intellexisse sincerius, quanto removere atque subducere intentionem mentis a corporis sensibus potuit ? Aug. De immort. animae, c. 10.